Maroc : histoire

Les Almoravides, 1056-1147
Les Almoravides, 1056-1147

Le Maroc – qui a connu comme les autres pays du Maghreb, les dominations carthaginoise puis romaine (Mauritanie Tingitane) – est islamisé à partir du début du viiies. mais non sans difficulté. Face à la conquête arabe, les grandes tribus berbères préservent ainsi une certaine cohésion tout en favorisant un morcellement politico-religieux dont profite la dynastie chiite des Idrisides (fin viiie-xes.), indépendante des Abbassides. Après avoir résisté à l’implantation des Fatimides, le Maroc devient, aux xie-xiiies., le cœur des deux grands empires hispano-berbères des Almoravides (1056-1147) et des Almohades (1130-1269). Les Marinides leur succèdent jusqu’au milieu du xves., créant une brillante civilisation, mais doivent céder le pouvoir aux Wattasides. Au xvies., les Sadiens (Arabes hasanides) fondent la première dynastie chérifienne (1554-1659) qui parvient à freiner les ambitions ottomanes et occidentales. L’ouverture aux Européens s’intensifie cependant sous leurs successeurs, les Alawites, facilitant la colonisation française et conduisant au protectorat (1912). Dépossédé de tout pouvoir effectif par la résidence générale (confiée notamment à Lyautey, 1912-1925) le sultan se range, à partir de l’intronisation de Muhammad V (1927), du côté des nationalistes menés par le parti Istiqlal et obtient l’indépendance du Maroc en 1956. C’est son fils Hasan II (1961-1999) qui préside à la modernisation d’un pays qui maintient d’étroites relations avec l’ancienne puissance coloniale ainsi qu’avec l’Union européenne, tout en préservant le caractère quasi absolu de la monarchie que modère une timide libéralisation à partir des années 1990, une démocratisation poursuivie par Muhammad VI depuis 2000-2004.

1. L'Antiquité

À partir des ixe-viiie s. avant J.-C., les Phéniciens installent des comptoirs sur les côtes marocaines (Tingi [aujourd'hui Tanger], Liks ou Lixos [aujourd'hui Larache], Rusaddir aujourd'huiMelilla]…) et introduisent l'usage du fer et la culture de la vigne. À partir du vies., ces comptoirs passent sous l’influence de Carthage.

Dès le iiie s. avant J.-C., le pays apparaît peuplé de Maures au nord, de Gétules au sud, ancêtres des actuels Berbères. Le royaume des Maures, ou Mauritanie, est annexé par les Romains en 40 après J.-C. ; en 42, Claude constitue le Maroc romain en détachant la moitié ouest de la Mauritanie (Mauritanie Tingitane) de la partie occidentale ; son occupation se limite alors aux plaines du Nord. La poussée des montagnards amène l'Empire à reculer sa frontière jusqu'au Loukkos (vers 285), mais, dans le pays évacué, la civilisation romaine persiste, et le christianisme progresse. Le passage des Vandales amène la chute de la domination impériale ; seul Septem Fratres (Ceuta) est byzantine de 534 à 709.

2. Les Berbères et l'islam

Chrétiens, judaïsés ou païens, les Berbères font partie de grandes familles regroupées en tribus : les Masmudas, sédentaires, qui occupent le Rif, les plaines atlantiques, le Haut Atlas ; les Sanhadjas, chameliers dans le Sahara occidental ou transhumants dans le Haut et le Moyen Atlas ; les Zenatas (ou Zénètes), nomades du Maroc oriental. Les Berbères recourent sans cesse au « conseil » (djemaa), de caractère démocratique, et, s'il apparaît des chefs, il n'y a pas de dynastie prolongée. Ils semblent avoir adopté l'islam assez rapidement. La conquête arabe date de Musa ibn Nusayr (vers 708-711). Les premiers convertis suivent Tariq ibn Ziyad lors de la conquête de l'Espagne derrière (711), mais l'esprit d'indépendance des Berbères se manifeste par le succès de l'hérésie kharidjite, qui provoque un soulèvement (739) contre les Omeyyades : le Maghreb occidental sort du monde politique arabe, mais sans rompre avec sa culture. Du morcellement émerge la dynastiealide hasanide (descendant d'Ali par l'un de ses deux fils Hasan) et chiite des Idrisides, fondée dans le nord du MAroc par Idris Ier (788-791/792), mais, après Idris II (793-828), qui fait de Fès une véritable capitale, elle perd toute importance, les héritiers d'Idris II s'étant partagé le royaume. Un général au service des Fatimides de Kairouan envahit le Maroc (917-918) et dépose les derniers Idrisides, mais la domination fatimide ne s'impose pas dans ce pays, qui retourne à la sunna et n'est plus qu'un monde de républiques berbères divisées par la lutte entre Sanhadjas et Zenatas.

3. Les grandes dynasties berbères

Les Sanhadjas du désert, devenus la confrérie des Almoravides, se lancent à la conquête du Maghreb, occupant d'abord les oasis (1053-1054) et le Sud marocain (1056-1059). Leur chef, Yusuf Ier ibn Tachfin, fondateur de Marrakech (1062), est le véritable créateur du Maroc : après avoir pris Fès (1069), Ceuta (1083) et poussé jusqu'à Alger, il est appelé à l'aide par les principautés musulmanes d'Andalousie (royaumes des taifas) menacées par lers progrès de la Reconquista et engage la guerre sainte en Espagne, dont il unit le sud au Maroc, créant l'Empire almoravide. Sous son fils, Ali ibn Yusuf (1106-1143), la civilisation andalouse s'étend au Maroc. Mais à partir de 1125, une révolte se développe chez les Masmudas de l'Atlas, dirigée par Muhammad ibn Tumart, fondateur de la doctrine almohade. Son disciple et successeur, Abd al-Mumin (1130-1163), qui se proclame calife, détruit la puissance des Almoravides (prise de Fès [1146] et de Marrakech [1147]), conquiert l'Ifriqiya et rallie l'Espagne. La domination des Almohades (1147-1269) s'affermit sous les règnes de Yusuf II (1163-1184), qui lègue à son fils Abu Yusuf Yaqub al-Mansur (1184-1199) un empire en paix, mais menacé par un double danger : chrétien au nord, almoravide et arabe à l'est ; le premier est écarté momentanément à Alarcos (1195), le second est le plus dangereux et nécessite la grande expédition de 1187 (victoire de Gafsa) et la déportation des Arabes les plus remuants. La civilisation almohade est marquée par le rigorisme de la doctrine religieuse et morale, ainsi que par le développement de la vie intellectuelle (Averroès). Le Maroc berbère atteint alors son apogée.

4. Les Marinides

Le prestige des Almohades ne survit pas à la défaite, en Espagne, de Muhammad ibn Yaqub al-Nasir (1199-1213) à Las Navas de Tolosa (1212). Tandis que les querelles de succession favorisent l'intervention de Ferdinand III de Castille au Maroc, dont les cavaliers aideront Abd Allah al-Maymun à s'emparer de Marrakech (1230), les Banu Marin (Marinides), des Zénètes venus de l'est, conquièrent le nord du Maroc (1214-1244) ; Abu Yahya en achève l'occupation (1244-1250) et y constitue le royaume de Fès. Les Castillans s'emparent de Séville en 1248 et les Almohades sont éliminés au sud du Maroc de 1258 à 1269 (prise de Marrakech, 1269) par Abu Yusuf Yaqub ; qui devient sultan (1269-1286), mais lui et ses successeurs ne dominent que les plaines. Si la civilisation hispano-mauresque est encore vivante (fondation de Fès Djedid [Fas al-Djadid], 1276 ; présence d'Ibn Khaldun au vizirat), les Marinides s'usent dans de vaines expéditions en Espagne, où ils se posent en combattants de la foi ; ils s'épuisent aussi dans la lutte contre les Abdalwadides de Tlemcen, et dans les querelles de succession. De 1420 à 1465, ils survivent sous la tutelle des Wattasides, dynastie également zénète qui s'impose en s'emparant de Fès et en les remplaçant en 1472.

5. Les dynasties chérifiennes

Les Portugais, qui veulent anéantir les corsaires musulmans menaçant leur route vers la Guinée, occupent de nombreux ports (Ceuta, 1415 ; Arzila et Tanger, 1471 ; Santa Cruz de Aguer (Agadir), 1505 ; Safi, 1508 ; Mazagan, 1514) ; jusque-là étape vers les mines d'or de Guinée, le Maroc atlantique devient le relais obligé sur la route du Cap vers l'océan Indien ; de leur côté, les Espagnols prennent Melilla (1497), puis le Peñón de Vélez de la Gomera. Contre les Européens, des marabouts se lèvent pour organiser la guerre sainte. Elle profite à une dynastie chérifienne, les Sadiens, qui enlèvent le Sud aux Wattasides (1523) avant de les éliminer définitivement (1554). Le chérif Muhammad al-Chaykh occupe Santa Cruz de Aguer (1541) ; les Portugais évacuent leurs positions pour ne garder que Tanger, Ceuta et Mazagan. Les Turcs, maîtres d'Alger, apparaissent alors plus dangereux que les chrétiens, et Muhammad al-Chaykh s'allie aux Espagnols ; mais ceux-ci abandonnent en fait leurs positions commerciales du Maroc quand Cadix s'oriente, à partir de 1550, vers le commerce d'Amérique. Cependant, les Ottomans, après avoir fait assassiner Muhammad al-Chaykh (1557), finissent par renoncer à la conquête du Maroc. La victoire d'Alcaçar-Quivir (1578), où périt Sébastien, roi de Portugal, vaut un grand prestige au Maroc ; le Sadien al-Mansur (1578-1603) fait occuper le Touat et le Gourara (1581), envoie une armée conquérir la boucle du Niger sur les Songhaïs (1591)pour mieux tenir la route de l'or, du sel et des esclaves dont la traite s'intensifie fortement.

À la mort d'Ahmad al-Mansur, le pays se morcelle, et la piraterie de Salé, aux mains des morisques chassés d'Espagne, prend une grande extension. Une nouvelle dynastie chérifienne, les Alawites, partie du Tafilalet, conquiert le Maroc des plaines au xviie s. Mulay Ismail (1672-1727), qui s'est créé une armée de Noirs (les Abid al-Boukhari), récupère Tanger (1684) et Larache (1689) sur les chrétiens, mais ne peut soumettre totalement les montagnards. Le xviiie s. est marqué par de longues querelles successorales, en particulier pendant le règne de Mulay Abd Allah (1729-1757), et par la reprise de Mazagan (1769).

6. L'ouverture du Maroc aux Européens

À la fin du xviiie s. et au début du xixe s., le sultan n'est plus contesté, mais l'armée est plus faible. Si la paix extérieure se maintient et si le Maroc n'est pas annexé à cette époque, c'est que les convoitises des puissances s'annulent. Dès le règne de Muhammad ibn Abd Allah (1757-1790), des traités de commerce sont signés avec les puissances européennes, et Mogador est fondée pour concentrer le commerce du Maroc avec l'Europe (1765). Derrière l'Angleterre, qui domine le commerce marocain (traités de 1760 et 1765) et préfère un État faible au sud de Gibraltar, les autres nations européennes se font accorder des privilèges : ouverture de huit ports, juridiction consulaire très étendue, protection accordée ou vendue à des Marocains, exemptions d'impôts, droits de douane favorables. Si Mulay Yazid (1790-1792) meurt dans une révolte du Sud provoquée par ses exactions, et si Mulay Sulayman (1792-1822) se heurte à des révoltes berbères dans le Moyen Atlas, leurs successeurs, Mulay Abd al-Rahman (1822-1859) et Muhammad ibn Abd al-Rahman (1859-1873), sont engagés dans des guerres contre la France (qui exige l'expulsion du Maroc de l'insurgé Abd el-Kader, et inglige la lourde défaite de l'Isly, 1844) et contre l'Espagne (1859-1860), révélant la faiblesse de l'armée. L'indemnité très lourde payée à l'Espagne à partir de 1860 pour obtenir la restitution de Tétouan (1862) aggrave la crise économique, liée aux privilèges des Européens. Mulay Hasan (1873-1894) obtient le ralliement du Haut Atlas en favorisant la domination des grands chefs tribaux, comme Si Madani al-Glawi (à la tête de l'une de ces familles de caïds, les Glaoui), à qui il donne l'investiture. Son fils, Mulay Abd al-Aziz ibn al-Hasan (1900-1908), est impopulaire parce qu'il s'entoure d'Européens ; la révolte de Bu Hmara, prétendant au trône, est la première d'une longue série de mouvements antieuropéens.

7. La colonisation française

Ayant déjà conclu avec le Maroc un traité sur la protection et la juridiction consulaires (1767) précisé par la convention de Tanger (1863), la France, qui avait dû accepter que de très nombreuses puissances bénéficient comme elle et l'Angleterre du traitement de la nation la plus favorisée (convention de Madrid, 1880), veut étendre sa domination sur le Maroc ; elle se fait d'abord concéder le droit de police dans les confins algéro-marocains (1901-1902). Elle désintéresse l'Italie (1900), la Grande-Bretagne (1904), fait entrevoir un partage à l'Espagne (1904), mais se heurte à l'opposition de l'Allemagne (Guillaume II à Tanger, 1905), qui soutient le sultan. La conférence d'Algésiras (1906) met pratiquement le Maroc sous contrôle international. Pendant que Lyautey occupe Oujda (1907), puis le massif des Beni Snassen (décembre 1907-janvier 1908) dans le Maroc oriental, une division française occupe la région de Casablanca (1907). Mulay Hafiz (1908-1912) renverse son frère (1908), mais doit faire appel aux troupes françaises pour le dégager dans Fès assiégée par les tribus du Nord (1911). Après l'incident d'Agadir (1911), terminé par l'accord franco-allemand (4 novembre 1911), la France a les mains libres : elle assignera une zone nord (Rif) et une zone sud (Ifni, Tarfaya) à l'Espagne (27 novembre 1912), après avoir imposé à Mulay Hafiz un traité de protectorat (convention de Fès, 30 mars 1912). Le statut de Tanger, sous contrôle international, sera réglé en 1923 par la convention de Paris.

Ayant occupé Taza (mai) et Khénifra (juin 1914), le résident général, Lyautey, réussit à tenir l'intérieur du Maroc. L'occupation européenne se heurte à une violente opposition dans le Rif, où Abd el-Krim inflige un désastre à l'armée espagnole (Anoual, 1921) et ne succombe qu'en 1926 devant la coalition franco-espagnole (campagnes du Rif) : les Berbères du Haut Atlas résistent jusqu'en 1933-1934 aux forces françaises. Malgré Lyautey, premier résident général (1912-1925), le régime de protectorat cède la place à l'administration directe. Le sultan n'a plus que des pouvoirs religieux, et son choix est le fait de Paris : Mulay Hafiz, contraint d'abdiquer (12 août 1912) a été remplacé par son demi-frère Mulay Yusuf (1912-1927). La colonisation officielle ou privée attribue aux Européens un million d'hectares (1/15 des terres utilisables). Un sentiment nationaliste se développe contre la minorité étrangère, sentiment que viennent étayer le salafisme (courant islamique réformiste né dans le dernier tiers du xixe s., et actif particulièrement en Égypte) et le panarabisme. La petite bourgeoisie, atteinte par la crise de 1929 qui aggrave le déséquilibre d'une économie sans protection douanière depuis la conférence d'Algésiras, anime cette opposition nationaliste ; un parti communiste apparaît, un Comité d'action marocaine se forme (1934) pour demander l'application du traité de protectorat, qui garantit la souveraineté du Maroc ; il se coupe en deux tendances (1937) qui formeront l'Istiqlal, avec Allal al-Fasi (1944), et le parti démocratique de l'Indépendance, avec al-Wazzani (1946) ; de plus, les promesses d'autonomie faites par Franco au Maroc espagnol, où a pris naissance la guerre d'Espagne (juillet 1936), renforcent l'opposition dans la zone française. La répression s'abat sur les chefs, mais la défaite de 1940 affaiblit encore la position française : l'Espagne en profite pour occuper Tanger (1940-1945), les partis marocains pour réclamer l'indépendance.

8. Vers l'indépendance

Le sultan Muhammad V (1927-1961) rencontre F. D. Roosevelt à Anfa (juin 1943) et, en 1944, refuse, pour la première fois, de ratifier les décisions du résident. Comme il réclame l'indépendance (discours de Tanger, avril 1947), le gouvernement français nomme des résidents réputés pour leur énergie, les généraux Juin (1947-1951) et Guillaume (1951-1954). En 1951, Muhammad V doit céder à un coup de force des autorités françaises, qui s'appuient sur le sultan de Marrakech, al-Hadjdj Thami al-Glawi, dit le Glaoui (successeur de son frère Si Madani), et accepte de se séparer de ses collaborateurs de l'Istiqlal.

Le 20 août 1953, les autorités françaises déposent le sultan, qui est remplacé par Muhammad Ibn Arafa. Des massacres, des attentats ensanglantent la ville, le Rif se soulève. Le gouvernement français doit autoriser la restauration de Muhammad V en août 1955.

Le sultan obtient que la France (2 mars 1956), puis l'Espagne (7 avril 1956) reconnaissent l'indépendance de son pays et fait abolir le statut international de Tanger (29 octobre 1956). Le Maroc, érigé en royaume (août 1957), réclame l'ouverture de négociations sur la frontière avec l'Algérie, puis il revendique la Mauritanie (1958). L'Espagne, qui cède la zone de Tarfaya (avril 1958), refuse d'abandonner les Presides, de Ceuta et Mellila, Ifni et la zone saharienne. À l'intérieur, l'Istiqlal, parti majoritaire, se coupe en deux (1958) ; un groupe de gauche, l'Union nationale des forces populaires (UNFP), issu de ce démembrement, estime excessive la part prise par le roi dans le gouvernement ; mais, jusqu'à sa mort (février 1961), Muhammad V gardera un prestige intact.

Pour en savoir plus, voir l'article Maroc : vie politique depuis 1961.