ville

(latin villa, maison de campagne)

Phnom Penh
Phnom Penh

Environ la moitié de la population de notre planète vit dans des villes ou des zones urbaines, soit environ 3,5 milliards d'hommes, et le mouvement qui pousse les ruraux vers les villes ne faiblit pas. Les espaces urbains ne représentent pourtant qu'une infime partie de la surface de la Terre, 1 à 2 % peut-être, tandis que l'on assiste à une sorte d'abandon et de « désoccupation » des zones de la surface terrestre qui se trouvent en dehors de ce réseau citadin. Ainsi, l'agglomération parisienne, même comprise au sens large, ne couvre que 2 400 km2, soit 20 % de la région Île-de-France, où les forêts (25 % de la superficie) sont plus étendues que l'espace bâti. Il en est de même du nord-est des États-Unis, une des régions les plus urbanisées du monde avec la conurbation Boston – New York – Philadelphie – Baltimore – Washington, dont plus de la moitié de l'espace est boisé.

Mais au moment où les villes établissent leur primauté sur les campagnes, leurs particularités, qui, au cours d'une longue histoire, les avaient distinguées du monde rural, s'estompent. Après s'être définies tout d'abord comme des unités juridiquement distinctes des campagnes, puis des territoires administratifs précisément délimités, les villes contemporaines ne se distinguent plus des campagnes sur les plans juridique et administratif. Le mouvement d'homogénéisation s'étend jusqu'aux pratiques sociales : désormais la vie collective est plus ou moins la même en ville et à la campagne. Un nouveau type de distinction émerge cependant : la ville et la vie urbaine pourraient être définies comme un ensemble de facilités pour la vie quotidienne (accès direct à une eau potable, à l'électricité, à divers services publics, de santé, de loisirs, proximité des grandes gares et des aéroports, etc.) « Vivre en ville », ce serait bénéficier de tout cela, par opposition à certaines zones dans lesquelles ces facilités manquent. Mais alors la distinction n'est plus topographique, car les zones qui ne bénéficient pas des facilités urbaines standard ne sont pas nécessairement situées à la campagne ou à la périphérie des villes. Elles peuvent même être présentes en leur cœur, comme dans le cas des bidonvilles qui fragmentent les espaces urbains des mégapoles et dont les habitants sont de fait exclus de la quasi-totalité des bienfaits de la ville. Ainsi, toute la réflexion sur la ville se renouvelle au fur et à mesure qu'émergent de nouveaux problèmes que les villes doivent affronter.

1. Le phénomène urbain

Le terme « urbain », qui s'oppose à « rural », renvoie au mot latin urbs, qui désignait au départ la « ville » par excellence, Rome, plutôt que la ville par opposition à la campagne. Les villes contemporaines ont sans doute de nombreux points communs avec la capitale de la République puis de l'Empire romain, à commencer par l'ampleur, allant parfois jusqu'à l'énormité, qui suppose une infrastructure développée et efficace pour leur ravitaillement, leur alimentation en eau, la circulation de leurs habitants, ainsi que pour distraire et contrôler ces derniers. Ainsi, la nourriture des habitants de Rome provenait de l'ensemble du territoire que contrôlait la cité, arrivant jusqu'à la ville grâce à un important réseau de routes  ; les distractions des habitants étaient des préoccupations constantes de ceux qui avaient en charge la cité, avec notamment les jeux du cirque et les diverses fêtes publiques. L'effondrement de Rome, au ve s., nous montre que l'histoire des villes n'est pas linéaire : après des périodes d'extension, de puissance et de magnificence, une ville peut disparaître. Cependant, de grands traits généraux permettent de cerner l'évolution des villes depuis leur origine.

1.1. La naissance de la ville

Les villes apparurent peu après la naissance de l'agriculture et le passage à la sédentarisation. Les villages dans lesquels se regroupèrent les agriculteurs grossirent, et l'on considère que certains devinrent des villes à partir du moment où s'y développèrent des activités artisanales (fabrication d'outils agricoles, de poteries en nombre, d'armes…) et commerciales (achat et revente des produits de l'agriculture, les premières villes jouant alors le rôle de centres de redistribution de ces produits). C'est ainsi que les premières traces connues d'écriture, dans les cités-États de Mésopotamie, concernent des transactions commerciales. Par la suite, très rapidement sans doute, les villes devinrent des centres religieux (sanctuaires de dieux, qui devinrent les protecteurs de la ville où un culte leur était rendu). Les villes spontanées ont sans doute précédé les villes fondées volontairement en un lieu choisi suivant certains critères (religieux, magiques, astrologiques même dans le cas, par exemple, de certaines villes chinoises) et selon un plan préétabli. Cette opposition entre les phénomènes « spontanés » et « volontaires » n'a pas disparu de nos jours. En outre, la concentration des richesses dans les villes, source de convoitises, a très vite nécessité leur fortification.

C'est ainsi que se constituèrent les premières cités-États, au Proche-Orient notamment, avec Jéricho, Our, Ourouk, Sumer, Mari, Ninive, Babylone, Ougarit, Suse… Le phénomène urbain est également attesté très tôt en Inde, plus tôt même qu'au Proche-Orient dans l'état actuel des connaissances, puisqu'une ville vieille de sept mille, voire neuf mille ans, recouverte par la mer, a été découverte en 2002 dans le golfe de Khambhat (Gujarat) ; cette cité était longue de neuf kilomètres et disposait notamment d'un système de distribution d'eau perfectionné. En Chine, le phénomène urbain apparut également très tôt, par exemple à Xi'an, point de départ de la Route de la soie.

En Occident, après la disparition de Rome, le Moyen Âge correspond à une période de faiblesse de la ville, tant sur le plan économique que sur le plan politique puisque la société féodale est plus largement fondée sur les grands domaines ruraux que sur les cités. C'est ce retrait de la ville qui lui permit pourtant d'échapper en partie aux contraintes qui pesèrent sur les paysans, et de connaître, à partir du xe s. environ, un renouveau. La ville retrouva les fonctions essentielles qui avaient été les siennes lors de son apparition : centre d'échanges (les foires), lieu d'activités économiques accrues (artisanat), lieu de refuge pour la population (les fortifications), lieu de pouvoir (châteaux royaux ou nobles, églises et surtout cathédrales). En outre, les villes étaient aussi des lieux d'innovation (l'imprimerie, entre autres). Dans ces nouveaux centres, la vie intellectuelle finit par supplanter celle des monastères situés dans les zones rurales. Peu à peu, des réseaux de villes se tissèrent, surtout du fait du développement des relations économiques.

1.2. L'explosion urbaine contemporaine

En 1808, pour la première fois en France, la ville fut officiellement définie : lieu dans lequel « la population agglomérée sera de deux mille âmes au moins ». Même si le chiffre de 2000 habitants connut par la suite des variations, la ville était définie, pour au moins deux siècles, comme un ensemble important de « population agglomérée », et non plus comme une zone bénéficiant de privilèges royaux ou autres.

Avec la révolution industrielle, les chemins de fer et les canaux favorisèrent notamment le développement des gares et des ports fluviaux. Mais l'urbanisation dans les pays industrialisés prit son véritable essor dans le dernier quart du xixe s. Jusqu'en 1914, les villes européennes crûrent rapidement, de nombreuses industries s'installèrent aux portes de ces villes, tandis qu'apparut un processus de différenciation spatiale en fonction du statut des habitants : certains quartiers devinrent des zones privilégiées, d'autres regroupaient la population défavorisée. Après la Grande Guerre et jusque dans les années 1960, l'urbanisation changea d'aspect : de grands ensembles envahirent peu à peu les banlieues, les villes se développèrent selon une logique de planification par zones, tandis que la généralisation de la voiture dans les pays riches et des transports en commun dans les pays pauvres permit l'extension en surface des grandes villes, ainsi qu'une séparation de plus en plus stricte des fonctions urbaines (zones industrielles, quartiers résidentiels aisés ou populaires, centres commerciaux…). L'extension spatiale s'accrut encore après les années 1960, du fait du succès de l'habitat pavillonnaire dans les pays riches, de l'attirance très forte des grandes villes, qui, dans les pays pauvres, devinrent parfois des mégapoles. Dans le même temps, les centres des villes rejetèrent définitivement les emplois industriels, qui se situent désormais dans les banlieues. Ainsi, l'élévation du niveau de vie (mesuré à travers la possession de voitures, le pourcentage de la population en habitat individuel, la part du temps et du budget consacrée aux loisirs, etc.) accompagne l'explosion urbaine, s'en nourrit tout autant qu'il l'alimente. Il serait vain de tenter de séparer les processus : les villes ne pouvaient croître en superficie sans une amélioration des transports en commun et sans l'apparition de la voiture, les voitures n'auraient pas autant d'importance dans la vie moderne si les villes étaient restées recroquevillées sur une petite superficie.

Depuis quelques années, la croissance démographique ne cessant pas – même si les taux de natalité baissent, les populations continueront de croître encore durant plusieurs décennies dans la plupart des pays –, la structure de la répartition des êtres humains continue d'évoluer, surtout dans les pays du Sud où l'exode rural est massif. Les villes, à l'image de Paris et des mégapoles mondiales, tissent entre elles des liens d'ordre économique, financier, voire culturel (organisation de manifestations festives, célébrations diverses, championnat sportifs, jeux Olympiques…), en passant en quelque sorte par-dessus les campagnes qui les séparent. Ce réseau possède une structure de communication, l'Internet, qui lui permet de ne pas toujours tenir compte des États, tandis qu'une hiérarchisation et une spécialisation des villes se précise. Sur le plan politique, nous assistons ainsi à une nouvelle émergence de la ville, de moins en moins limitée territorialement puisque, par l'intermédiaire des alliances avec d'autres villes, par la communication en réseau, la ville apparaît plus comme une façon de produire, de vivre en collectivité, que comme une zone délimitée (par un boulevard extérieur, une enceinte…), au statut juridique précis. Dans le même temps, le mode de vie citadin a tendance à devenir la norme, et les différences entre citadins et ruraux s'estompent.

1.3. Les fonctions des villes

Les villes assument des tâches précises qui constituent la fonction urbaine. Ce terme, emprunté à la physiologie par Ratzel en 1891, assimile la ville à un organe. Selon la nature et l'importance de ces fonctions se trouvent déterminés l'origine de la ville, le paysage urbain, la composition socio-professionnelle de ses habitants et leur mode de vie quotidien.

Les fonctions d'une ville sont nombreuses et, pour chaque fonction, les exemples abondent. La fonction militaire (ports de guerre comme Toulon, ou villes fortes comme Verdun) est souvent la première des fonctions spécialisées qui touchent, par ailleurs, aux domaines les plus divers. Jérusalem, La Mecque, Bénarès, Lourdes et Fatima sont essentiellement des villes religieuses. Athènes, Rome, Ravenne, Venise, Florence, Versailles se visitent comme des villes musées. Bayreuth, Avignon, Cannes attirent par leurs festivals. Cambridge, Oxford, Heidelberg sont des villes universitaires. Evian, Plombières, Bad Ems sont des villes de cure, et Saint-Tropez, Chamonix ou Spa des villes de loisirs.

Les deux grandes fonctions des villes actuelles sont d'ordre commercial et industriel. Prédominante avec la révolution industrielle, la fonction commerciale a favorisé l'extension d'un grand nombre de villes : marchés, locaux, comptoirs commerciaux, villes frontalières, ports fluviaux et maritimes. Les plus grandes villes ont pu jouer le rôle de foires internationales : Leipzig, Lyon, Nijni Novgorod. La puissance commerciale a fréquemment favorisé la fonction industrielle. À l'exception des villes minières, généralement peu développées, l'implantation industrielle s'est faite dans les régions qui offraient à la fois main-d'œuvre, capitaux et clientèle. Si les villes situées sur les gisements de matières premières ou de sources d'énergie sont nombreuses (villes des pays noirs britanniques, de la Ruhr, de Pennsylvanie, du Donbass), ce sont davantage les grandes agglomérations qui ont attiré et continuent d'attirer l'industrie.

Les fonctions administrative et politique se sont greffées sur les précédentes, dans la mesure où la situation nationale de la ville et la volonté des gouvernants le permettaient. Paris aurait probablement connu un destin différent si les Capétiens n'en avaient fait leur capitale et si les gouvernants postérieurs n'avaient entériné ce choix. Les représentations étrangères (ambassades, consulats) s'ajoutent alors aux activités d'administration et de gestion. Les super-capitales concentrent des organismes à vocation internationale (Genève et New York pour les Nations unies, Paris pour l'Unesco, Bruxelles pour la Commission européenne). Cependant, la fonction politique ne suffit pas à un essor urbain spectaculaire comme le prouve le développement limité de Canberra, de Bonn lorsque la ville était la capitale de la République fédérale d'Allemagne, ou dans une moindre mesure de Brasilia. Le cumul des fonctions urbaines qualifie les métropoles (internationales ou régionales).

De nos jours, un réseau de mégapoles (New York, Tokyo, Londres, Paris, Francfort, Chicago, Los Angeles, Hongkong, Singapour…) domine la planète. Singapour, sans doute la meilleure image contemporaine de la mégapole, se présente comme une sorte de cité-État moderne, qui s'est hissée à ce rang en trois décennies et qui concentre, sur un espace désormais trop restreint, la quasi-totalité des attributs nécessaires à un rôle mondial. Au niveau géopolitique, on parle donc désormais d'un réseau planétaire de villes (« archipel mégalopolitain mondial », selon O. Dollfus), qui tissent de plus en plus des liens directs entre elles. Ainsi, la finance internationale se déroule pour l'essentiel entre trois pôles principaux, New York, Londres et Tokyo, et quelques pôles secondaires, dont Paris et Francfort. Les mégapoles hébergent les sièges sociaux des plus grandes entreprises mondiales, dont les banques. Les échanges entre pays s'effectuent pour les quatre cinquièmes entre des pays développés, mais si on analysait ces mêmes échanges entre les villes, la conclusion serait identique : ce sont surtout les villes qui captent les échanges, et non les campagnes (alors que la moitié de la population du globe est rurale).

Désormais, les organismes internationaux tentent de définir de nouvelles formes de « gouvernance » des mégapoles. À partir du constat de la puissance des grandes agglomérations et du fait que les villes, pour la première fois de leur histoire, semblent pouvoir se passer de leur arrière-pays (leur approvisionnement pourrait tout à fait venir de campagnes lointaines aux prix plus attractifs que les zones rurales proches), les experts élaborent des scénarios, qui vont d'un rôle encore accru des mégapoles désormais conçues comme des « villes durables » à un retour vers des villes de taille bien moindre, mieux disséminées sur la planète, qui permettraient de redonner à leur arrière-pays proche un dynamisme réel (production agricole vendue localement, petite industrie, artisanat, nouvelles formes de tourisme comme le tourisme « ethnique » ou « social »). Entre ces deux approches se situe tout un éventail de projets, qui restent cependant presque tous fondés sur l'idée que ce sont les villes, et non les campagnes, qui sont les moteurs du développement, de la croissance et du bien-être.

1.4. Les chiffres mondiaux

En 1900, à l'échelle planétaire, les citadins ne constituaient encore qu'une petite minorité, peut-être 13 % environ (200 millions de citadins pour une population totale d'environ 1,5 milliard). Selon les services des Nations unies, la plus grande ville du monde était alors Londres, avec 6,4 millions d'habitants, suivie de New York (4,2), Paris (3,9) et Berlin (2,4). Tokyo ne regroupait que 1,4 million d'habitants, Pékin 1,1 et Calcutta, alors la plus grande ville et la capitale de l'Inde, 1 million.

En 1950, environ 29 % de la population mondiale vivait dans des villes. La croissance démographique des pays du Sud et l'attirance des grandes villes et futures mégapoles étaient les faits dominant. New York était devenue la ville la plus peuplée (12,3 millions d'habitants), suivie de Londres (10), mais ensuite on trouvait Tokyo (6,7), Shanghai (5,8), Paris (5,5), Buenos Aires (5,3), Calcutta (4,4), et Mexico (3).

En 1975, Tokyo était devenue la ville la plus peuplée du monde (19,8 millions d'habitants), devant New York (15,9), Shanghai (11,4), Mexico (11,2) et Sao Paulo (10). En 2000, toujours selon les Nations unies, Tokyo restait la ville la plus peuplée (26,4 millions d'habitants), mais ensuite, le boom des villes du Sud avait bouleversé complètement le classement de ces agglomérations : Bombay (26,1), Lagos (23,2), Dacca (21,1), Sao Paulo (20,4), Karachi (19,2) et Mexico (19,2) devançaient New York (17,4).

Désormais, on estime qu'environ la moitié de la population mondiale vit dans des villes (considérées comme des zones urbanisées de plus de 2 000 habitants), soit 3,2 milliards de personnes. La croissance de la proportion d'urbains est très rapide du fait que les deux pays les plus peuplés du monde, la Chine et l'Inde, qui sont encore majoritairement ruraux, connaissent un fort exode rural. En Chine, on estime que la population urbaine représente entre 21 et 31 % de la population totale (le chiffre officiel, de 50 %, est très contesté). En Inde, la population urbaine représente environ 28 % de la population totale.

Les plus grandes villes du monde

Les plus grandes villes du monde

Ville

Pays

Nombre d'habitants

Tokyo

Japon

37,2 millions d'habitants

Delhi

Inde

22,7 millions d'habitants

Mexico

Mexique

20,4 millions d'habitants

New York

États-Unis

20,4 millions d'habitants

Shanghai

Chine

20,2 millions d'habitants

São Paulo

Brésil

19,9 millions d'habitants

Bombay

Inde

19,7 millions d'habitants

Pékin

Chine

15,6 millions d'habitants

Dacca

Bangladesh

15,4 millions d'habitants

Calcutta

Inde

14,4 millions d'habitants

Karachi

Pakistan

13,9 millions d'habitants

Buenos Aires

Argentine

13,5 millions d'habitants

Los Angeles

États-Unis

13,4 millions d'habitants

Rio de Janeiro

Brésil

12 millions d'habitants

Manille

Philippines

11,9 millions d'habitants

Moscou

Russie

11,6 millions d'habitants

Osaka

Japon

11,5 millions d'habitants

Istanbul

Turquie

11,3 millions d'habitants

Lagos

Nigeria

11,2 millions d'habitants

Le Caire

Égypte

11,2 millions d'habitants

Canton

Chine

10,8 millions d'habitants

Shenzhen

Chine

10,6 millions d'habitants

Paris

France

10,6 millions d'habitants

1.5. Les situations régionales

Les villes, leur évolution, leur situation actuelle diffèrent parfois profondément selon les continents. De nombreux facteurs, comme les conflits ou les performances économiques, affectent ou au contraire renforcent l'attraction que les villes exercent sur les ruraux.

En Afrique sub-saharienne, la croissance urbaine est nettement associée à de très hauts taux de pauvreté urbaine, à une déficience des infrastructures et à une faiblesse des investissements. Parfois, la pauvreté est encore renforcée par des causes conjoncturelles : les guerres alimentent l'exode des ruraux vers les villes (Angola, Liberia, Mozambique, Soudan), ainsi que les sécheresses et les famines (cas, par exemple, de la Mauritanie et de l'Éthiopie). En Afrique, 72 % des habitants des villes vivent dans des bidonvilles, soit environ 166 millions de personnes (2004).

En Asie, à l'exception du Proche-Orient, environ 40 % des habitants vivent dans les villes. Le continent est encore majoritairement rural, mais l'exode des paysans est très vif, et on peut estimer que toute la croissance démographique du continent sera, dans les années à venir, absorbée par les villes. En nombre absolu, l'Asie est le continent qui regroupe le plus de citadins sur la planète. Au Proche-Orient, la situation est marquée par une forte urbanisation puisque près des deux tiers des habitants sont des urbains, ainsi que par une forte présence de réfugiés, qui sont concentrés dans les villes.

En Amérique latine, la région la plus urbanisée du tiers-monde, les trois quarts des habitants sont des citadins. Cependant, contrairement aux prévisions des années 1980, les mégapoles connaissent un essoufflement certain. Ainsi, la majorité des urbains vivent dans des villes de moins de un million d'habitants, tandis que Mexico ou Saõ Paulo, bien que très peuplées, n'ont pas atteint les chiffres projetés (pour Mexico, 19,2 millions d'habitants en l'an 2000 au lieu des 32 millions prévus une vingtaine d'années plus tôt). L'essoufflement des mégapoles est dû à la baisse très nette du taux de natalité d'une part, et aussi à la compétitivité économique des villes plus petites. Il faut également évoquer l'attraction des États-Unis dans le cas de la capitale du Mexique, et l'importance prise par les villes de Porto Alegre et Curitiba pour expliquer le ralentissement de la croissance de leur voisine, Saõ Paulo.

En Europe de l'Est, environ les deux tiers des habitants sont des citadins (à l'exception de la Moldavie, qui reste majoritairement rurale).

2. Localisation des villes

Les choix qui ont présidé à la fondation d'une ville sont souvent déterminants pour son histoire. Le lieu où la ville s'installe, prospère et s'étend peut se révéler très favorable ou au contraire défavorable en fonction de multiples critères, économiques, sociaux, historiques ou simplement topographiques.

En dépit de sa variété, la localisation des villes se définit par un site et une situation particulière. Les rivages côtiers et les vallées fluviales semblent être les lieux les plus attractifs : en France, 61 % des villes et 79 % des chefs-lieux de département sont situés sur un cours d'eau.

2.1. Le site

Le site est l'emplacement précis occupé par la ville : il se rattache aux critères historiques de la formation de la ville et il est souvent rappelé dans la toponymie. Ce peut être un lieu défensif (élévations du relief : collines de Rome, acropoles grecques, buttes de Carcassonne ou de Montlhéry, colline de Fourvière à Lyon, Kreml' de Russie), un lieu d'abri marin (calanque du Vieux Port à Marseille, baie de Rio de Janeiro, ria de la Penfeld à Brest, l'alignement d'îlots al-Djazaïr, qui délimite un plan d'eau dans la baie d'Alger), un lieu d'abri fluvial, lorsque le fleuve décrit un méandre facile à fortifier (Besançon, Tolède, Luxembourg, Berne, La Nouvelle-Orléans, Vérone) ou lorsqu'il entaille un versant hors de portée des inondations (versant concave de méandre). Souvent la ville est située près d'un gué (Londres, Paris) ou près d'un pont (Tours, Cambridge, Pont-à-Mousson, Les Ponts-de-Cé) ou à un lieu de transbordement des marchandises (Orléans), à un point de confluence (Lyon, entre Saône et Rhône) ou sur une île du fleuve (île de la Cité à Paris). Les ports d'estuaire sont établis au point extrême atteint par la marée (Nantes, Bordeaux, Londres, Anvers). D'autres sites favorables sont les presqu'îles (Manhattan à New York, Dakar, Bombay, Stockholm).

Mais le plus souvent, les grandes villes ont bénéficié d'un site complexe. Ainsi, Paris s'est développé à partir de l'île de la Cité, du gué de la Seine, d'un cercle de collines protégées des inondations, sur la rive droite, et de la montage Sainte-Geneviève, qui a joué le rôle d'acropole dans l'Antiquité. De même, le « centre de gravité » de Lyon a glissé successivement de la colline de Fourvière à la presqu'île de Perrache et à la rive gauche du Rhône. Le site a imposé un plan initial précis à la ville, mais aujourd'hui, il constitue dans bien des cas une servitude : son inadaptation aux exigences de l'urbanisme et de l'essor économique freine l'expansion urbaine. Il en est ainsi de la lagune de Venise et des acropoles méditerranéennes (villes de la Côte d'Azur et de la Riviera), où pourtant le site, devenu quartier historique, présente un intérêt touristique.

2.2. La situation

La situation, plus que le site, commande l'évolution de la ville. Il s'agit de sa position par rapport à un espace géographique (zones de relief, de climat, de végétation ; axes naturels de circulation ; zones exploitées par l'homme : riches terroirs, mines, sources d'énergie, régions touristiques) et par rapport aux voies de circulation créées par l'homme (routes, canaux, chemins de fer).

L'évolution historique ou les mutations d'une activité économique peuvent remettre en cause la valeur d'une situation. Le déclin de Vienne a suivi le partage de l'Empire austro-hongrois, et Berlin s'est longtemps ressenti de la séparation des Allemagnes. De même, la fermeture des vieux bassins houillers, l'épuisement de mines d'or ou de gisements de pétrole ont ruiné les villes des pays noirs britanniques, des villes australiennes et certaines villes américaines. À l'inverse, la situation peut valoriser une ville : Paris et Londres doivent leur prospérité à leur situation au centre de bassins sédimentaires où convergent des voies d'eau, qui offrent un débouché naturel vers la mer. New York est situé sur l'estuaire de l'Hudson, voie d'accès aux Grands Lacs par la dépression du Mohawk et point d'aboutissement des liaisons nord-atlantiques. C'est encore la position de carrefour qui est à l'origine de la fortune de Moscou ou des villes du Rhin. La position de contact entre des régions complémentaires (villes de piémont) constitue une variante de la situation de carrefour. Il en est de même des villes-ports, qui bénéficient d'avantages similaires : celles de la mer du Nord (Rotterdam, Londres, Anvers, Hambourg, Dunkerque) tirent leur prospérité de leur situation sur la voie maritime la plus fréquentée du monde, à proximité des régions les plus industrialisées de l'Europe. Lorsque la valeur stratégique d'une situation a présidé à l'établissement urbain (Gibraltar), la ville a parfois connu des développements ultérieurs plus riches, comme le prouvent les situations de Lille, du Cap, de Singapour, de Tunis et d'Istanbul. Si la construction de la ville répond à un intérêt impératif, on surmonte les obstacles du milieu physique : les villes minières (Kiruna, Port Radium, Hassi Messaoud, Vorkouta), les villes stratégiques (Thulé) ou les villes-étapes (Anchorage, villes du Transsibérien et du Transandin, Aden) en sont des exemples notoires.

La situation ne suffit donc pas à expliquer, à elle seule, la prospérité d'une ville, et le facteur humain peut être parfois aussi déterminant que les facteurs géographiques. Brasília, édifiée à partir de 1956, a été voulue par le président Kubitschek, comme l'avaient été auparavant Alexandrie d'Égypte fondée par Alexandre le Grand, Constantinople par Constantin, Le Havre par François Ier, Berlin par les Hohenzollern, Saint-Pétersbourg par Pierre le Grand, ou Casablanca par Lyautey. La valeur géographique d'une situation n'est souvent appréciée qu'a posteriori lorsque l'entreprise a réussi. L'échec de la création de Brouage par Richelieu en est la preuve contraire.

3. La forme urbaine

La ville, autrefois symbole de concentration et de densité, bien délimitée par ses remparts, s'étale aujourd'hui en d'interminables banlieues denses mais discontinues, où domine l'habitat individuel, du moins dans les pays développés. Elle s'entoure de villes nouvelles. Les citadins, quand ils ne sont pas réduits à édifier des bidonvilles, s'installent dans les villages périphériques. Les pouvoirs publics peuvent cependant encourager une autoconstruction contrôlée en fournissant des lots à bâtir viabilisés avec un minimum d'infrastructures (eau, électricité, égouts), voire avec le gros œuvre réalisé, à charge pour les occupants d'achever la construction. On assiste ainsi à des cas d'exurbanisation (rurbanisation) : les phénomènes de « périphéricité » contrecarrant ceux de la centralité, des centres secondaires se constituent. En même temps, dans les centres poussent les tours et se multiplient les niveaux en sous-sol. Jamais, dans l'espace urbain, les contrastes de densité n'ont été aussi marqués. À Paris, les tours Montparnasse et de Jussieu, ainsi que celles du XIIIe arrondissement, sont isolés dans l'ensemble du bâti urbain.

Les plus hautes tours du monde

LES PLUS HAUTES TOURS DU MONDE

Tour

Hauteur

Ville

Date de construction

Burj Khalifa

823 m

Dubai (Émirats Arabes Unis)

2010

Abraj al Balt

601 m

La Mecque (Arabie Saoudite)

2012

One World Trade Center

541 m

New York (États-Unis)

2013

Willis Tower

527 m

Chicago (États-Unis)

1973

Taipei 501

501 m

Taipei (Taiwan)

2004

World Financial Center

492 m

Shanghai (Chine)

2008

Commerce Center

484 m

Hong Kong (Chine)

2010

John Hancock Center

484 m

Chicago (États-Unis)

1969

Tours Petronas

452 m

Kuala Lumpur (Malaisie)

1998

Les formes urbaines dépendent à la fois du site et du contexte historique, politique, culturel et architectural dans lequel la ville a été créée et s'est agrandie. L'expansion urbaine obéit depuis la plus haute Antiquité à deux types de forces : les mouvements spontanés, expression des choix et des intérêts individuels, et les opérations planifiées résultant de la volonté des pouvoirs publics, expression d'une conception et d'une volonté urbanistique (le nouveau Belleville ou Bercy à Paris).

3.1. L'extension spatiale des villes

L'extension spatiale des villes s'effectue actuellement par l'intégration des populations rurales non agricoles proches de l'agglomération initiale (phénomène de suburbanisation), par la multiplication des banlieues aux dépens des centres urbains eux-mêmes (de 1940 à 1950, aux États-Unis, la population suburbaine s'est accrue de 35 % tandis que la population urbaine n'augmentait que de 13 %), et par la création de villes-satellites (newtowns de Grande-Bretagne, au-delà de la ceinture verte de Londres, dans un rayon de 65 km ; nouveaux centres urbains de la région parisienne ou de la région moscovite), sauf dans les pays où l'urbanisation reste faible (Inde).

La ville se transforme progressivement en agglomération et peut s'intégrer dans une conurbation, dont les exemples les plus marquants sont ceux de la Ruhr (7 millions d'habitants sur 8 000 km2), du Lancashire, du Randstad Holland (5 millions d'habitants dans la couronne Amsterdam – La Haye –Rotterdam), du Donbass, de Saint-Paul – Minneapolis, de Lille-Roubaix-Tourcoing, etc. L'exaspération de l'urbanisation aboutit à la formation d'ensembles tels que Megalopolis, longue de 700 km du nord au sud sur la côte est des États-Unis, de Boston à Washington.

L'expansion spatiale urbaine est pour beaucoup fonction des progrès des moyens de transport : avant le chemin de fer, elle est linéaire ou en « doigts de gant » le long des routes  ; avec la voie ferrée, autour des gares en grains de chapelet de plus en plus petits (au fur et à mesure qu'on s'éloigne du centre), puis autour des échangeurs autoroutiers, et, entre-temps, en tache d'huile dans les intervalles des axes. Le schéma classique, surtout pour les villes à croissance lente et anciennement fortifiées, est spontanément radioconcentrique. Les enceintes successives, une fois abandonnées, laissent place à des boulevards (les grands boulevards parisiens) ou rings circulaires (Vienne) ; au-delà, les rocades forment des ceintures autoroutières. Les trames, au départ involontaires et non géométriques, prennent le plus souvent la forme de damier avec de multiples variations possibles. Il s'agit, en effet, de découper le sol de la façon la plus simple.

Dès le départ, la ville s'est structurée en quartiers autour des lieux de culte. Certains quartiers, constitués autour des portes, des ports ou des gares, se sont souvent spécialisés autour d'une fonction ou d'une activité. Au-delà des portes (Saint-Martin ou Saint-Denis à Paris, par exemple) sont nés des faubourgs le long des routes. La banlieue, qui englobe et submerge les vieux noyaux villageois, comprend des lotissements d'habitat individuel, très répandus dans les pays anglo-saxons, et des groupes d'habitats collectifs, comme les grands ensembles qui se sont multipliés depuis la Seconde Guerre mondiale. De plus en plus, dans les pays du tiers-monde, l'habitat sous-intégré du type bidonville prend de l'ampleur. On a partout essayé d'empêcher l'expansion désordonnée en créant des villes nouvelles ou, du moins, des pôles périphériques secondaires autour d'un échangeur autoroutier, d'un grand centre commercial ou d'une zone d'activités.

Les villes anciennes, antérieures au chemin de fer, se caractérisent par la position en cul-de-sac de leur gare, à la limite de l'espace urbanisé au milieu du xixe s. : c'est le cas de bien des villes européennes, telles que Paris et Londres. Il a ensuite fallu relier les voies ferrées par des ceintures ferroviaires, destinées notamment aux trains de marchandises. Ces faisceaux de voies ferrées, souvent fort larges, constituent d'importantes coupures radiales dans l'espace urbain. On a parfois relié ces gares en passant par le centre-ville et en réalisant une gare centrale souterraine, comme à Paris (croisée des lignes A et B du RER à Châtelet - Les Halles) et à Bruxelles. Dans les pays neufs, comme en Amérique du Nord, la gare a souvent précédé la ville, qui s'est développée de part et d'autre du carrefour ferroviaire (Chicago, Saint Louis).

Les villes détruites par les guerres modernes, les incendies ou les tremblements de terre ont pu être reconstruites, parfois à l'identique, comme le vieux centre de Varsovie ou de Saint-Malo, ou au contraire, et plus rarement, avec une trame nouvelle, comme dans La Baixa à Lisbonne (xviiie s.) ou au Havre. À une échelle plus réduite, des quartiers entiers ont pu faire l'objet d'une opération de rénovation urbaine, c'est-à-dire d'une démolition totale suivie d'une reconstruction (Rio de Janeiro), en général selon une trame différente. Des voies ont été élargies, d'autres créées ; des espaces verts ont été installés en même temps que de nouveaux équipements. Ces bouleversements entraînent, en général, une substitution de population. Les anciens habitants, artisans et commerçants ne reviennent pas, même si le nouveau quartier offre un nombre important de logements sociaux bon marché. On assiste alors à un embourgeoisement, sorte de « gentryfication » de la souche résidente.

Une nouvelle forme d'habitat urbain de haut standing voit le jour, tant dans les pays riches que dans les pays pauvres : les quartiers privés « sécurisés », dans lesquels il est interdit de circuler si l'on n'y habite pas ou si l'on n'a pas une personne précise à voir. Ce type de quartier se développe dans des villes européennes, mais aussi dans les mégapoles du tiers-monde, comme à Saõ Paulo où on les connaît sous le nom de condominios fechado, ou en Chine, où le terme bieshu, après avoir désigné dans les années 1920 une simple maison individuelle, désigne désormais des quartiers réservés et enclavés, protégés jour et nuit.

Avec l'évolution des fonctions et des techniques intervient l'obsolescence des types d'occupation du sol. Les reconversions deviennent alors inévitables. Le moindre besoin d'espace pour les fonctions militaire, portuaire, ferroviaire ou d'entrepôt engendre le réaménagement des fortifications déclassées, des gares de marchandises désaffectées ou des fronts d'eau abandonnés par le trafic. L'aménagement des Docklands (très controversé), à Londres, est un des exemples les plus caractéristiques. Tous les ports des pays développés – d'abord aux États-Unis, au Canada et en Grande-Bretagne – connaissent, à des degrés divers, les mêmes problèmes que la capitale anglaise.

4. Les valeurs foncières

L'augmentation de la valeur du sol entraîne, d'une part, l'étalement en surface, et, d'autre part, au centre, la densification et l'utilisation de la « troisième dimension » par l'élévation en hauteur. C'est aux États-Unis qu'est né le gratte-ciel dans la seconde moitié du xixe s., d'abord à New York puis à Chicago. C'est la caractéristique « visible » du CBD (central business district), ou centre des affaires. La poussée en hauteur est certes la conséquence de la très forte valeur du sol, mais aussi d'un certain snobisme qui attribue un effet de prestige aux bâtiments élevés. En principe, la valeur des terrains décroît du centre vers la périphérie par zones concentriques et en fonction du critère de « distance-temps » : on comprend alors l'importance accordée aux voies de circulation et aux moyens de transport. D'autres facteurs interviennent : proximité des espaces verts, exposition et panorama, fonctions du quartier. D'une manière générale, le sol le plus cher est consacré aux activités – en tête desquelles se situent le commerce, surtout de luxe, les sièges sociaux, le tourisme (en résumé le tertiaire supérieur) –, puis aux résidences aisées. À l'inverse, l'industrie et les résidences populaires valorisent beaucoup moins l'espace urbain.

Toute croissance urbaine engendre quatre types de plus-value : celle acquise par les mètres carrés de plancher anciens valorisés par cette croissance ; celle des surfaces neuves qui ont remplacé à proportion égale les anciens espaces démolis ; celle des mètres carrés supplémentaires, neufs par définition, qui correspondent à une densification et dont la totalité de la valeur constitue une plus-value ; celle enfin des espaces au sol devenus « urbanisables », essentiellement en périphérie, et dont le passage du statut de sol agricole à celui de sol constructible centuple parfois la valeur.

5. L'organisation de l'espace urbain

Dans le cadre des réglementations et des projets d'urbanisme établis par les pouvoirs publics, qui sont devenus de plus en plus complexes, la spéculation, qui anticipe sur la plus-value foncière, constitue le principal moteur des transformations urbaines. La première phase consiste à élaborer un plan d'urbanisme – le schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme (SDAU) pour une grande agglomération – qui localise les principaux équipements ; c'est dans ce cadre que sont établies les zones à urbaniser, à rénover et à densifier. En concordance avec cette orientation, et à une échelle plus grande, le plan d'occupation des sols (POS) détermine l'affectation plus précise de chaque secteur et sa densité prévue d'habitat ou d'activités. La densité autorisée est exprimée par le coefficient d'occupation des sols (COS), soit le rapport entre la surface de la parcelle et la surface de plancher admise ou constructible. Cette règle remplace de plus en plus celle des plafonds de hauteur, généralement déterminés en fonction de la largeur de la rue. Toutefois, les deux peuvent, comme à Paris, être appliquées conjointement. La règle de l'alignement, qui permet de déterminer la largeur de la voie et de l'élargir au fur et à mesure de la reconstruction des immeubles, s'y ajoute depuis longtemps (depuis Henri IV en France).

Dans la Charte d'Athènes (1933), l'architecte et urbaniste Le Corbusier, voulant réagir contre ce qu'il désignait comme l'« anarchie urbaine », avait préconisé le zonage, c'est-à-dire la séparation des fonctions dans l'espace selon la formule « habiter, travailler, circuler, se récréer ». Mais l'expérience a montré que cette solution avait plus d'inconvénients que d'avantages (quartiers désertés le jour ou la nuit, intensification et allongement des migrations journalières). Le Corbusier préconisait aussi la construction en hauteur, de manière à dégager le maximum de surface au sol. Des villes qui reflètent le mieux ses conceptions, comme Chandigarh (Inde) ou Brasília, on peut tirer des enseignements assez divers. Depuis la fin des années 1970, les aménageurs optent plutôt en faveur de la mixité des fonctions dans un même espace.

Pour les pouvoirs publics, l'aménagement d'une ville s'est longtemps limité au tracé de voies, à la conservation de quelques espaces verts et à la construction d'un petit nombre de bâtiments (palais, mairies, marchés, écoles, hôpitaux, etc.). Depuis le milieu du xixe s., comme dans le Paris d'Haussmann, l'aménagement urbain est devenu plus complexe. Une véritable ville souterraine s'est créée pour abriter les réseaux d'adduction (eau, électricité, gaz, téléphone, chauffage urbain) et d'évacuation des eaux. Le métro, suivi du RER – et bientôt peut-être des automobiles –, s'est également emparé des espaces souterrains. En outre, les immeubles modernes possèdent plusieurs niveaux en sous-sol ; dans certaines régions connaissant un climat rigoureux, des centres commerciaux ont été enterrés, comme à Montréal (Canada) ou à Sapporo (Japon). Pour résoudre le problème de l'encombrement, on parle de plus en plus de concevoir un urbanisme souterrain.

Les espaces urbains ont de longue date été confrontés à la mégalomanie des décideurs, qui, pour des raisons de prestige essentiellement, choisissent le plus grand, le plus large, le plus haut. C'est le cas de Versailles, ou de places couvrant plusieurs dizaines d'hectares dans les pays anciennement socialistes. La réhabilitation de l'Alexanderplatz, à Berlin, fut l'un des premiers projets de la capitale allemande après la réunification.

5.1. La circulation

Le réseau de circulation est l'élément essentiel de l'aménagement urbain. En théorie, les aménageurs doivent d'abord choisir entre privilégier plutôt les transports en commun ou donner la priorité à la circulation individuelle. En réalité, on améliore à la fois ces deux types d'équipements. Pour les transports collectifs rapides et à grand débit, la voie ferrée souterraine reste actuellement la meilleure solution (métro classique ou RER). Ces réseaux ferrés conditionnent pour une large part l'organisation de l'espace urbain : distance-temps et carte d'isochrones, axes et pôles principaux et secondaires. En général, les radiales sont mieux desservies que les rocades.

La densification de la circulation automobile, en modifiant la nature même de la rue, a révolutionné la vie urbaine. Les parkings se multiplient, au sol, en étage et sous terre. La pénétration des autoroutes n'est guère concevable dans les vieilles villes comme Paris ; elle peut être envisagée en surplomb (Tokyo), même au prix d'une déstructuration de l'espace urbain. Beaucoup d'observateurs reprochent à l'urbanisme moderne d'avoir sacrifié la ville à l'automobile et d'avoir fait disparaître la rue traditionnelle. Toutefois, on s'efforce aujourd'hui de recréer des espaces urbains en les spécialisant sous forme de rues piétonnières. La ville moderne a aussi redécouvert le tramway, un moment décrié en France ; ce moyen de transport représente une solution d'attente pour les pays sous-développés, bien moins coûteuse que le métro souterrain, avec cependant un débit sans commune mesure avec celui-ci.

L'inégalité dans le temps de la circulation complique singulièrement les problèmes et augmente le coût des solutions : les phénomènes de pointe, dont les plus importants résultent des migrations journalières de travail, centrifuges le matin, centripètes le soir, exigent des équipements surdimensionnés servant seulement quelques heures par jour. Or ce comportement résulte d'horaires de travail qu'il est difficile de modifier pour de multiples raisons d'organisation professionnelle et de vie familiale. Le surdimensionnement résultant de la surcapacité nécessaire pour faire face au trafic de pointe augmente les investissements et le prix de revient de la circulation urbaine. Pour les transports en commun, le coût réel, s'il était réclamé à l'usager lors de chaque déplacement, rendrait le prix du métro ou du bus prohibitif ; la collectivité prend donc à sa charge une partie importante du prix de revient des transports (entre les deux tiers et la moitié suivant les cas).

5.2. Le partage de l'espace

La répartition de l'habitat et des activités dans l'espace urbain n'était autrefois le résultat d'aucun volontarisme mais répondait à une logique. Dans la partie centrale de la ville se fixait la grande majorité des activités commerciales, artisanales et administratives autour des bâtiments exprimant les pouvoirs princier (château), religieux (église ou mosquée) puis communaux (le beffroi dans les Flandres, le campanile en Italie). Le marché en plein air se tenait sur la place centrale, près de l'hôtel de ville et de la cathédrale. Au xixe s., les industries furent souvent rejetées en périphérie, de préférence sur les rives des voies d'eau, afin de recevoir plus aisément les matières premières pondéreuses, de puiser l'eau dont elles avaient besoin et de rejeter les eaux usées. Une implantation le long des voies ferrées offrait encore des avantages supplémentaires.

Les quartiers ouvriers jouxtaient les usines, voire s'y imbriquaient. Les quartiers bourgeois, en revanche, recherchaient des lieux moins bruyants et moins pollués, aussi près que possible du centre et proches d'espaces verts, éventuellement sur des pentes. Certes, des quartiers mixtes ont vu le jour, parfois même des immeubles mixtes – les logements aisés donnant sur la rue et occupant les étages inférieurs, les appartements plus modestes donnant sur la cour et se répartissant dans les étages supérieurs. Ce schéma suppose une certaine hauteur des immeubles et des habitudes sociales et culturelles données, lesquelles sont variables selon les pays. Ainsi, l'habitat individuel était plus répandu dans les pays anglo-saxons ou germaniques qu'en France. L'élévation et l'usage de l'ascenseur ont inversé la hiérarchie sociale dans l'immeuble d'habitation. Aujourd'hui, dans bien des pays, les habitants les plus aisés préfèrent les étages supérieurs pour le panorama, l'absence de vis-à-vis, l'éloignement du bruit de la rue, et aussi pour des raisons de sécurité.

La localisation des activités, surtout industrielles, est aujourd'hui le résultat d'une politique volontariste des collectivités locales visant à favoriser la constitution de zones d'activité dans le double objectif de créer des emplois et de percevoir des taxes sur les entreprises, même si, en période de récession, l'octroi d'avantages fiscaux est souvent nécessaire pour obtenir l'implantation d'une firme. Ces zones peuvent être très spécialisées. Ainsi les technopôles emploient-ils un pourcentage élevé de main-d'œuvre qualifiée et de cadres : la qualité des emplois compte désormais autant que leur quantité. C'est à une conception similaire de spécialisation de l'espace que se rattachent les cités administratives, les cités ou campus universitaires et les grands centres commerciaux.

5.3. Le commerce et l'administration

Le commerce de détail est un singulier animateur de la ville. Disséminé en boutiques le long des rues – certaines artères, dont quelques-unes ne s'intéressent qu'à un seul type de produits, sont réputées pour leur vocation commerçante (Oxford Street à Londres, l'avenue de l'Opéra à Paris…) –, il attire les passants par ses vitrines. S'y ajoutent les grands magasins, connus pour leur effet d'entraînement sur leur quartier. Le commerce est aussi occasionnel, sur les trottoirs, avec des marchés volants qui se tiennent certains jours. Quant au secteur informel, il est très répandu dans les pays en voie de développement. Des marchés sous les halles (journaliers ou épisodiques), qui débordent sur les places, existent aussi de longue date. Mais ce dispositif a été intensément bouleversé par la création de centres commerciaux (shopping centers), d'abord au cœur des grands ensembles, puis, avec d'immenses parkings, à proximité des échangeurs autoroutiers. Cette évolution a contribué à déstructurer les rues traditionnelles, vouées à devenir lieux piétonniers et récréatifs.

L'administration d'une grande agglomération ou d'une métropole se heurte d'abord à des héritages historiques, par exemple à un découpage des circonscriptions administratives souvent bien antérieur à l'expansion urbaine. Elle est ensuite confrontée à une contradiction fondamentale entre la nécessité de conserver une administration proche de la population et l'obligation de penser et de régler à une autre échelle le problème des grands équipements et de la protection de l'environnement. Il semble que la solution réside, d'une part, dans une répartition équilibrée des compétences entre les différents niveaux d'administration et de décision, et, d'autre part, de plus en plus, dans les financements conjoints. Dans les capitales et les villes importantes, un conflit peut intervenir entre le chef de l'État ou le représentant du pouvoir central et l'élu local de la population. C'est pourquoi, dans de nombreux pays, le responsable de la capitale ou d'une ville importante est nommé par le pouvoir central (ce fut le cas de Paris jusqu'en 1977). Le niveau de vie de la population et ses revenus conditionnent la capacité d'investissement de la collectivité locale, ses possibilités d'emprunter, de payer des annuités de remboursement et de faire face aux coûts de fonctionnement. Dans les pays en voie de développement, les collectivités locales reçoivent de l'État l'essentiel de leurs moyens.

6. Santé et environnement

La vie en milieu urbain a des conséquences diverses sur la santé. Lorsque le contexte économique est défavorable (cas de l'Europe de la révolution industrielle ou des pays du tiers-monde actuel), la vie urbaine correspond en général à une nette dégradation de la santé des individus. Les causes en sont diverses et varient selon les milieux et les époques. Dans l'Europe du xixe s., l'absence d'hygiène, l'alcoolisme, les mauvaises conditions sanitaires au travail (par exemple, dans les filatures, l'abondance de poussière nocive) étaient beaucoup plus marqués en ville qu'à la campagne. De nos jours, dans les villes des pays en développement, les principaux facteurs négatifs sont l'absence ou la mauvaise qualité des réseaux de distribution d'eau potable et d'évacuation des eaux usées, ainsi que la pollution atmosphérique due notamment aux gaz d'échappements. Ainsi, à Pékin, Calcutta ou Téhéran, comme dans de très nombreuses autres villes, les normes internationales de pollution atmosphérique préconisées par l'Organisation mondiale de la santé sont dépassées au moins deux cents jours par an. L'ensemble de ces mauvaises conditions de vie est bien entendu aggravé par la pauvreté, et donc notamment pour la population des bidonvilles.

Le milieu urbain des pays développés souffre lui aussi des pollutions atmosphérique et sonore, voire dans certains cas de la mauvaise qualité de l'eau, ainsi que des contraintes liées à l'évacuation des déchets liquides et solides. Aussi nocives que les eaux non épurées rejetées par les industries et les foyers domestiques, les eaux de pluie, qui ruissellent sur les surfaces imperméables et polluées des chaussées et des toits des immeubles, empoisonnent la faune aquatique et détériorent les écosystèmes fluviaux.

Aux problèmes de la pollution, qui touchent autant les pays riches que les pays pauvres (circulation automobile, chauffage urbain), s'ajoute, dans les pays en voie de développement, la question de l'eau. Les grandes villes des pays en développement sont, en effet, confrontées aux problèmes de la fourniture de l'eau potable au plus grand nombre et de l'évacuation des eaux usées (risques non seulement de pollution, mais surtout d'épidémie).

La notion d'environnement s'étend aujourd'hui au paysage, à la conservation du patrimoine, à la protection et à l'extension des espaces verts, indispensables à l'espace urbain pour de multiples raisons : aération, loisirs et détente, lutte contre la pollution atmosphérique. Une distinction est faite entre les petits espaces verts, dits de proximité, tels les squares accessibles dans un rayon de 500 m, et les grands espaces verts, polyvalents ou spécialisés (jardins botaniques). Les grandes villes de culture anglo-saxonne, comme Londres (Hyde Park), New York (Central Park), mais aussi Calcutta et Hongkong, ont souvent opté pour l'entretien d'un grand espace vert au cœur de la cité. Dans les pays latins, les grands espaces verts sont plutôt localisés à la périphérie, à l'image de Paris (bois de Boulogne et de Vincennes), de Madrid (Parque del Retiro) et de Barcelone (Parque Güell). D'une manière générale, l'étendue des espaces verts est plus importante dans les pays anglo-saxons, germaniques ou scandinaves.

7. Les citadins et leur cité

La ville est le siège d'une multiplication foisonnante d'activités. Par des économies de temps et de coûts dues à la proximité, donc à la densité, elle génère des échanges de tous ordres et permet de tirer le parti maximal du potentiel d'interactions économiques, sociales, politiques, culturelles existant dans une société, quel que soit son mode d'organisation. Le citoyen et le consommateur y bénéficient d'un choix inégalé de produits et de services, ainsi que de multiples espaces de liberté, d'abord sous la forme d'un marché du travail (bassin d'emploi) vaste et varié. Les possibilités d'accès à l'éducation, à la santé, à une promotion professionnelle et sociale, parfois simplement à une alimentation régulière, sont ou semblent plus grandes que partout ailleurs. Aussi la ville exerce-t-elle, et ce à l'échelle planétaire, une extraordinaire force d'attraction sur les populations rurales dont, pour de multiples raisons, le mode de vie traditionnel ne peut plus se perpétuer : désertification, surcharge démographique, baisse de la production, concurrence des produits importés, ou, à l'inverse, intensification et mécanisation des cultures d'exportation au détriment des productions vivrières. Toutefois, ces facteurs n'ont pas la même importance en période de crise économique, même dans les pays développés : l'individu est alors plus isolé en ville tandis que la solidarité a tendance à mieux fonctionner en milieu rural.

Les populations urbaines sont en général « ouvertes », c'est-à-dire qu'elles résultent d'un va-et-vient incessant d'arrivées et de départs. Leur structure, en équilibre instable permanent, est susceptible d'être rapidement modifiée en cas de ralentissement ou d'accélération, voire de changement de nature, des flux migratoires. Il s'y ajoute les modifications de comportement résultant de la vie urbaine elle-même. Ce double dynamisme permet de comprendre la composition d'une population urbaine à un moment donné et d'expliquer ses comportements. Un mécanisme similaire joue à l'échelle d'un quartier.

La population d'une ville, ses structures démographique et sociale, son évolution, finalement ses comportements, dépendent de ses activités et de ses fonctions. De celles-ci découlent la nature et la grille des emplois. De là dépendront les besoins, les types de logements, de commerces et de loisirs. De grandes différences sont perceptibles entre une ville de retraités aisés et une ville à forte croissance, avec le développement d'industries faisant appel à une main-d'œuvre jeune, souvent immigrée. Mais une ville, dès qu'elle est importante, fait appel à une main-d'œuvre variée.

Le problème est donc celui de la structure de la population en différentes catégories d'actifs, ou de non-actifs, et le pourcentage de chacune d'elles. Le cadre urbain est de très près lié à cette structure : les types de logements, de commerces et d'équipements font appel à des immeubles différents, quel que soit le style architectural en vogue.

L'adaptation du « contenant » au « contenu » n'est pas immédiate. Des héritages, des pesanteurs se font sentir, des résurgences se manifestent. Ainsi, le Marais, à Paris, quartier aristocratique aux xviie et xviiie s., tourné vers l'artisanat et accueillant un habitat modeste aux deux siècles suivants, a été réoccupé, après réhabilitation, par un habitat et un commerce de luxe.

Le citadin est de plus en plus attaché à son cadre de vie et à la protection de celui-ci. On constate une résistance de la population aux opérations de rénovation urbaine qui traduit une volonté de participation aux choix et aux décisions se rapportant au cadre de vie. Des associations de citadins se sont créées dans le dessein d'informer les habitants, de les mobiliser et de faire pression sur les décideurs, toujours dans le sens de la conservation. Il n'est pas rare que des associations attaquent les pouvoirs publics en justice. Tout équipement qui affecte une population tout en se situant à une autre échelle que le quartier (autoroute, voie ferrée, aéroport, usine d'incinération…) est très mal accepté. Par ailleurs, les citadins sont de plus en plus attentifs à toutes les formes de pollution et de nuisances (odeurs, bruits…), ce qui entre souvent en opposition avec le désir de maintenir ou de créer des emplois, de faire face aux besoins croissants en matière de circulation et d'équipements. On trouve là l'une des contradictions majeures de l'espace urbain.