Charles Darwin

Charles Darwin en 1860.
Charles Darwin en 1860.

Naturaliste britannique (Shrewsbury, Shropshire, 1809-Down, Kent, 1882).

1. Les années de jeunesse

1.1. Un terreau scientifique

Charles Darwin est le cinquième de six enfants ; il grandit au sein d’une famille prospère et cultivée. Son père est médecin. Son grand-père paternel, Erasmus Darwin, avait été célèbre tout à la fois comme poète, comme botaniste et comme zoologiste. Son grand-père maternel est Josiah Wedgwood, grand céramiste de la reine Charlotte, qui avait entièrement renouvelé l'art de la porcelaine en Angleterre.

1.2. L’éveil à la nature

Charles Darwin se montre peu intéressé par les études, tant à l'école secondaire de Shrewsbury qu'à l’université d'Édimbourg, où il entre en 1825 pour étudier la médecine et suivre ainsi la voie paternelle. C’est là qu’il commence à s’intéresser à l’histoire naturelle, par le biais de l’étude des invertébrés marins, à laquelle l’initie l’un de ses professeurs, Robert Grant (1793-1874). Mais d’intérêt pour la médecine, point. Son père lui propose alors de devenir pasteur de l’Église anglicane. Il faut cependant, pour être ordonné, valider un premier cycle d’études universitaires : en 1827, Charles Darwin intègre le Christ's College de Cambridge.

En 1831, âgé de vingt-deux ans, il obtient son Bachelor of Arts degree. Il n’a toujours rien d’un étudiant modèle, mais ces années à Cambridge ont développé son intérêt passionné pour le monde vivant, qu’il nourrit notamment auprès de son professeur de botanique, John Stevens Henslow (1795-1861). À ses heures perdues, en compagnie d’autres étudiants, il parcourt la campagne pour collectionner des spécimens de coléoptères. Peu après l’obtention de son diplôme, Darwin apprend les rudiments de la géologie auprès d’Adam Sedgwick (1785-1873), au cours d’une expédition dans le pays de Galles.

2. Le voyage providentiel

2.1. Naturaliste à bord du Beagle

John Henslow a alors l'idée d'adresser une lettre de recommandation en faveur de Darwin au capitaine Robert Fitzroy, commandant du HMS Beagle, navire de recherche de la Royal Navy. Lorsque le bateau lève l'ancre pour l'Amérique du Sud, en décembre 1831, en vue d'améliorer le relevé des côtes de Patagonie, Darwin est à bord en tant que naturaliste.

2.2. Des observations fécondes

Le voyage va durer plusieurs années, jusqu'en octobre 1836 : îles du Cap-Vert, côtes sud-américaines, îles Galápagos (les 13 espèces de « pinsons » qu’il y capture lors de son séjour vont avoir un rôle très important dans l’élaboration de sa future théorie), Tahiti, Nouvelle-Zélande, Australie, Tasmanie, îles Cocos, Maldives, île Maurice, Sainte-Hélène, Ascension, Le Cap, Brésil, retour au Cap-Vert, Açores et retour. Merveilleusement heureux de voir tant de paysages dont il a rêvé, libre de courir où il veut à chaque escale, Charles Darwin remplit ses livres de bord d’observations géologiques et zoologiques.

Il manifeste sa reconnaissance envers John Henslow en lui adressant de longues lettres riches d'observations inédites et de remarques pénétrantes. Henslow publie, à l'insu de Darwin, les meilleures de ces lettres, si bien qu'à son retour le naturaliste du Beagle constate qu’il est reconnu auprès les hommes de sciences britanniques comme l'un des espoirs de la jeune génération.

3. Douze heures par jour de travail solitaire

3.1. Une théorie pour les atolls

En 1838, Charles Darwin devient secrétaire de la Geological Society, et membre de la Royal Society dès 1839, à trente ans. Il a gardé de ses années d'études une aversion viscérale pour l'enseignement, si bien qu’il ne briguera jamais aucune chaire professorale.

Le jeune savant épouse en janvier 1839 Emma Wedgwood, sa cousine germaine. La même année, il publie Journal de recherche (Journal of Researches) – passé à la postérité sous le titre de Voyage du Beagle (Voyage of the Beagle), titre apparu sur une édition de 1905. Récit de voyage tiré de son journal écrit à bord, cet ouvrage inclut également une théorie de l'origine volcanique des atolls.

3.2. Un homme paisible

Tout concourt à faire de l'ancien navigateur autour du monde un homme sédentaire et retiré. Une santé médiocre l'oblige à ménager ses forces physiques : c’est ainsi qu’il va mener à bien son œuvre immense en passant douze heures par jour dans son lit ! Son caractère paisible ne s'accommodera pas des violentes polémiques que sa doctrine va provoquer. Il laissera à ses admirateurs le soin de défendre ses thèses, ce dont ils s'acquitteront d'ailleurs brillamment.

Lui privilégie le soin de s'occuper de sa femme et de ses sept enfants, avec infiniment de délicatesse, comme de ses pigeons, de ses fleurs de serre et de tous les êtres vivants dont il s'est entouré dans sa maison de Down (comté de Kent). Il vit de ses rentes, à l’abri des nécessités financières, et travaille à son grand œuvre, qu’il entend affiner dans ses moindres détails.

4.La découverte des travaux d’Alfred Wallace

4.1. Des crustacés cirripèdes...

Jusqu'au choc décisif provoqué en lui par les travaux d’Alfred Russel Wallace, Charles Darwin travaille au compte rendu de son voyage et à une monographie très complète des crustacés cirripèdes (publication entre 1851 et 1854).

En 1858, plus de vingt ans après son retour de voyage, il reçoit un essai d’Alfred Wallace, un naturaliste installé à Bornéo, essai intitulé On the Tendency of Varieties to Depart Indefinitely From the Original Type (De la tendance des variétés à se démarquer indéfiniment du modèle original) : il s’agit, ni plus ni moins, d’une théorie de l’évolution fondée sur la sélection naturelle.

4.2. ... à la théorie de Darwin-Wallace

Les amis de Charles Darwin, le géologue Charles Lyell et le botaniste Joseph Dalton Hooker présentent ce texte à la Linnean Society – sans que Wallace soit au courant –, accompagné de textes de Darwin originellement non destinés à publication. Cette présentation jointe est intitulée On the Tendency of Species to form Varieties; and on the Perpetuation of Varieties and Species by Natural Means of Selection (De la tendance des espèces à former des variétés, de la conservation des variétés et des espèces à l’aide de la sélection naturelle) ; elle est publiée dans le Journal de la Linnean Society en août 1858. Le concept d’évolution par sélection naturelle est alors présenté comme la théorie de Darwin-Wallace.

5.La publication de De l'origine des espèces

5.1. Épuisé dès le premier jour

À la suite de cette publication, sur la demande pressante de Lyell et Hooker qui craignent, face à l’avancée des travaux de Wallace, que leur ami ne se fasse devancer, Darwin se résout à publier ce qui, à ses yeux, n'est que le résumé d’une théorie bien plus vaste. L’éditeur, prudent, ne tire De l'origine des espèces (On the Origin of Species) qu'à 1 250 exemplaires.

Le 24 novembre 1859, l’ouvrage – dont le titre complet est On the Origin of Species by Means of Natural Selection, or the Preservation of Favoured Races in the Struggle for Life (l’Origine des espèces au moyen de la sélection naturelle ou la préservation des races favorisées dans la lutte pour la vie, selon la traduction française la plus fidèle au titre anglais) – paraît en librairie. Le soir du même jour, tout est vendu. Dès janvier 1860, une seconde édition est mise en vente, tirée cette fois à 3 000 exemplaires.

5.2. Six éditions corrigées

Six éditions différentes se succéderont jusqu’en 1872, au fil desquelles le texte de l’ouvrage évoluera de façon considérable. Charles Darwin prend en effet soin de modifier son texte pour répondre de façon argumentée aux critiques qui lui sont faites, pour corriger des erreurs, pour parachever sa théorie. Aussi la sixième édition comporte-t-elle, au final, 150 pages de plus que la première, et quinze chapitres au lieu de quatorze.

Pour la petite histoire, la célèbre expression « survie du plus apte » (survival of the fittest), n’apparaît que dans la cinquième édition, en 1869, après avoir été utilisée pour la première fois par le philosophe et sociologie Herbert Spencer dans Principles of biology (Principes de biologie, 1864).

6.Un ouvrage qui fait scandale

6.1. L’opposition religieuse

Succès ne veut pas dire approbation, et dans bien des milieux piétistes ou de strictes obédiences théologiques, il s'agit d'un succès de scandale. Charles Darwin n'est pourtant pas le premier à remettre en doute le dogme du créationnisme (issu du fixisme), fondé sur la Bible – les idées transformistes qui ont précédé sa théorie se sont largement diffusées, même dans les milieux religieux.

Ce qui n’est pas pardonné à cette nouvelle théorie, c’est d’une part de présenter une sélection naturelle sans pitié, ternissant l'image doucereuse d'une bonne nature, œuvre pure d'un Dieu bon et, d’autre part, de dépouiller l’homme de l’épisode de création divine qui lui est propre... pire encore, de laisser entendre qu’il pourrait descendre du singe (théorie que Darwin expose dans son ouvrage la Descendance de l’homme et la sélection sexuelle [The Descent of Man and Selection in Relation to Sex, 1871 – également traduit sous le titre la Filiation de l’homme]). La lecture littérale de la Genèse, familière à tous les Britanniques, contredit formellement une telle assertion, et Darwin fait alors figure d'hérétique. Ce d’autant plus facilement que certains de ses défenseurs les plus ardents, comme les scientifiques Thomas Huxley, au Royaume-Uni et Ernst Haeckel, en Allemagne, se montrent ouvertement anticléricaux.

6.2. L’opposition scientifique

Dans les milieux scientifiques, une autre cause de résistance aux idées de Darwin est l'influence persistante des vues de Linné. Il ne s’agit pas (on l'a vu) de la Linnean Society, laquelle a, au contraire, servi de tribune au darwinisme, mais de la mentalité linnéenne qui imprègne alors l'esprit des savants et qui leur fait concevoir toute espèce comme une sorte d'essence métaphysique immuable, inapte à devenir une autre espèce.

En fait, à cette époque, on vient à peine de terminer l'admirable édifice de la systématique, de donner à chaque être vivant une identité faite d'un nom de genre et d'un nom d'espèce comme l'avait proposé Linné (→ classification des espèces), et il est pénible de s'avouer que ce bel édifice, payé de tant d'efforts, héberge des informations qui ne sont pas éternelles. C'est pourquoi Darwin revient avec insistance sur le caractère abstrait, mal défini et parfois contradictoire des coupures établies entre les espèces.

7.Les trois principes de l'évolution

Charles Darwin a magistralement établi, sur un nombre immense de faits, dont beaucoup avaient été personnellement observés, les trois bases fondamentales de la théorie de l'évolution telle qu’elle s’est imposée en quelques décennies au monde scientifique :

partout, toujours, de mille manières, les faunes et les flores ont varié, et cela depuis la base des couches géologiques les plus anciennes ;

les lignées, observées individuellement par voie d'élevage ou de culture, présentent d'innombrables variations de détails ;

la lutte pour la vie est si féroce et la sélection naturelle si rigoureuse que la moindre variation utile fait triompher la lignée qui la possède sur les lignées qui en sont dépourvues, et assure à la population victorieuse une expansion rapide.

8. Une œuvre immense, un auteur modeste

8.1. Autres thèmes

Charles Darwin est loin d’être l’homme d’un seul sujet. Parmi son abondante bibliographie, il faut encore citer : l’Expression des émotions chez l'homme et les animaux (The Expression of the Emotions in Man and Animals, 1872), la Fécondation des orchidées (Fertilisation of Orchids, 1862), les Plantes insectivores (Insectivorous Plants, 1875), les Mouvements et les Habitudes des plantes grimpantes (Movements and Habits of Climbing Plants, 1875), la Formation de la terre végétale par l'action des vers avec des observations sur leurs habitudes (The Formation of Vegetable Mould, through the Action of Worms, with Observations on their Habits, 1881).

Toute sa vie, Darwin se passionne pour les orchidées. Ayant reçu d’un correspondant une orchidée originaire de Madagascar (Angraecum sesquipedale), dont les fleurs présentent un éperon de 25 à 30 cm de long, Darwin suppose l’existence sur cette île d’un papillon doté d’une trompe suffisamment longue pour parvenir à aspirer le nectar au fond de l’éperon (il n’en connait aucun en mesure d’atteindre une telle profondeur), permettant ainsi la pollinisation des fleurs sans laquelle l’orchidée aurait disparu. Ce papillon (un gros papillon nocturne de la famille des sphingidés, baptisé Xanthopan morgani praedicta) est découvert en 1903, 41 ans après que Darwin a prédit son existence.

8.2. De la place pour l’objection

Quel est donc le secret de la fécondité de la pensée darwinienne ? Voici quelques éléments qui nous sont livrés (dans la Vie et la Correspondance de Charles Darwin, 1887) et qui peuvent éclairer sur ce sujet : « J'ai constamment essayé de garder l'esprit libre, au point d'abandonner une hypothèse, même lorsqu'elle m'était chère (et je ne puis m'empêcher de former une hypothèse sur chaque sujet), aussitôt que les faits s'y montraient opposés. » ; ou encore « […] l'amour de la science, une patience sans limites pour prolonger la réflexion sur un même sujet, l'effort pour observer et rassembler les faits, et une part suffisante aussi bien d'invention que de sens commun […] ».

Plusieurs passages de l'Origine des espèces montrent l’humilité de l'auteur, qui accepte de présenter toutes les objections possibles à la théorie de la sélection naturelle, puis à les réfuter lorsqu'il jugeait la chose possible ou, sinon, à en prendre acte. En témoignent les titres de certains des chapitres de son ouvrage : « Difficultés de la théorie », « Récapitulation des difficultés de la théorie ».

9. Après Darwin…

Charles Darwin meurt le 19 avril 1882. Il est enterré en grande pompe à l’abbaye de Westminster. De l’origine des espèces, son œuvre la plus connue, figure au nombre des ouvrages marquants de l’histoire de la biologie : elle a imprimé un virage profond à la pensée scientifique et, au-delà, à la conception philosophique de la nature même de l’espèce humaine.

Ponctuée de controverses et de débat, la pensée évolutionniste de Darwin, passée à la postérité sous le nom de darwinisme, a peu à peu gagné toute l’Europe, puis les États-Unis. En quelques décennies, le darwinisme s’est imposé dans tous les milieux scientifiques, et en-dehors, jusqu’à ce que l’Église elle-même décide de ne plus y voir de contradiction avec la foi. Complétée et corrigée par les apports ultérieurs de la génétique, de la paléontologie et de la biogéographie, la théorie de Darwin représente le fondement du courant majeur des modèles actuels de l’évolution, le néodarwinisme.