Pologne : vie politique depuis 1990

1. L'ancrage de la Pologne à l'ouest (1990-2004)

1.1. La transition économique et ses conséquences politiques

Le plan d'austérité, entré en vigueur le 1er janvier 1990, entraîne une forte augmentation du chômage et une diminution du pouvoir d'achat. Cette « thérapie de choc » stoppe l'hyperinflation (585 %) et stabilise le złoty, au prix cependant d'une chute de la production et d'un appauvrissement rapide de la population. Le contexte socio-économique, propice aux discours démagogiques, complique la campagne présidentielle de Lech Wałęsa, cependant victorieux à l'élection de décembre 1990. Après les législatives de 1991, la présence de 29 partis au Parlement rend difficile la formation d'une majorité nette.

Les deux gouvernements issus de ces élections, constitués en 1991 et en 1992, tentent de tempérer l'ultralibéralisme, en dotant le pays d'une politique industrielle et en protégeant l'agriculture. Le premier, dirigé par Jan Olszewski (1991), surtout préoccupé par la mise à l'écart des anciennes élites dirigeantes et marqué par le nationalisme catholique, sombre dans les intrigues parlementaires.

Le gouvernement suivant, constitué par Hanna Suchocka (1992), plus pragmatique et soucieux des problèmes sociaux de la transition, ne profite pas du redressement économique qui s'amorce en 1993. Victime l'exaspération de la population face à la montée du chômage (16 %) et des polémiques orchestrées par l'Église, il est renversé par une motion de censure déposée par Solidarność en juillet 1993.

Les élections législatives de septembre portent au pouvoir une majorité dominée par les ex-communistes. Le jeune dirigeant de l'Alliance de la gauche démocratique (SLD, social-démocrate), Aleksander Kwaśniewski, ancien ministre communiste de la Jeunesse et des Sports, devenu président de la République après sa victoire sur Wałęsa en 1995, s'appuie sur la frange la plus dynamique de l'ancien parti communiste : les jeunes, les réformateurs, partisans depuis longtemps de l'économie de marché, et les cadres reconvertis dans les affaires.

Malgré les nombreuses querelles politiques qui dominent la scène politique, la Pologne est devenue un pays stable, aux résultats économiques satisfaisants, qui peut mener une politique de rapprochement accéléré avec l'Occident. En novembre 1990, elle conclut avec l'Allemagne réunifiée un traité (ratifié en juin 1991) reconnaissant la ligne Oder-Neisse comme frontière entre les deux pays. En octobre 1991, un accord soviéto-polonais prévoit le retrait des troupes soviétiques, effectif en septembre 1993.

À partir de 1990, la Pologne se rapproche de la Hongrie et de la Tchécoslovaquie, réunies en novembre 1991 au sein du groupe de Visegrád, constitué pour favoriser la coopération entre ces trois pays, issus du Comecon, en vue de leur intégration à l'Union européenne. Le groupe de Visegrád opte pour un rapprochement avec l'OTAN et signe un accord de libre-échange en décembre 1992 – l'accord a depuis inclus les deux pays États tchèque et slovaque issus de la partition de la Tchécoslovaquie, le 1er mars 1993. Entrée en 1991 au Conseil de l'Europe, la Pologne dépose une demande officielle d'adhésion à l'Union européenne en 1994. Elle est membre de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) depuis 1996.

1.2. Les nouvelles données de la vie politique

Après l'approbation par référendum d'une nouvelle Constitution en mai, les élections législatives de septembre 1997 permettent une simplification du paysage politique polonais, désormais clairement structuré autour d'une gauche, fédérée par les anciens communistes, et une droite héritière du syndicat Solidarność. Celui-ci, éclaté en plusieurs partis – depuis les catholiques jusqu'aux ultralibéraux –, parvient à rétablir son unité et à remporter les élections. La nouvelle alliance Action électorale Solidarité (AWS), constituée d'une trentaine de partis de droite regroupés autour de Solidarność, arrive en tête du scrutin devant l'alliance de gauche SLD et l'Union de la liberté (UW) de Leszek Balcerowicz, artisan des premières réformes économiques au début des années 1990 au ministère des Finances. Un gouvernement de coalition est formé avec cette dernière , dont la direction est confiée à Jerzy Buzek (AWS). Le grand perdant est le parti paysan polonais (PSL), quasiment éliminé de la scène politique, alors qu'il avait jusque-là joué un rôle déterminant dans la formation d'alliances électorales ou de gouvernement.

Buzek, protestant issu de Solidarność, s'attelle à un programme ambitieux qui est de maintenir l'objectif d'adhésion à l'Union européenne et d'apaiser le climat politique. Sa tâche n'est pas facile, d'autant plus que la nouvelle majorité s'est surtout préoccupée de satisfaire sa frange catholique, l'hiver 1997 ayant été consacré à la ratification d'un concordat avec le Vatican et au rétablissement de la pénalisation de l'avortement. Des grèves et des manifestations secouent le pays en 1997 et 1998 – en mars 1997, lors de la liquidation des chantiers navals de Gdańsk, mais aussi dans d'autres secteurs d'activité, tels que la santé.

Peu affectée par la crise russe en 1998, l'économie polonaise continue sa longue mutation grâce à la poursuite des privatisations et à un nouveau train de réformes (retraites, santé, secteur minier, nouveau Code pénal). Une vaste refonte administrative réduit le nombre de voïévodies de 49 à 16. Malgré un bilan non négligeable, la coalition gouvernementale éclate en juin 2000 avec le départ des centristes de l'UW, excédés par les contradictions internes de l'AWS. Affaiblie par ses propres dissensions, la droite polonaise ne parvient pas à présenter un candidat unique à l'élection présidentielle d'octobre 2000, favorisant ainsi la réélection, dès le premier tour, de Kwaśniewski (53,9 % des voix).

L'ancrage de la Pologne à l'ouest se renforce avec son adhésion à l'OTAN (mars 1999).

1.3. Dernières turbulences avant l'intégration dans l'Union européenne

En mars 2001, le gouvernement minoritaire de Buzek, en sursis depuis plusieurs mois, se voit encore affaibli après le départ du parti conservateur libéral (SKL). Une succession de limogeages et de démissions du gouvernement vient renforcer l'impression de malaise. Dans la perspective des législatives de septembre 2001, les différentes composantes de la majorité (AWS et UW, notamment), en miettes depuis plus d'un an, ne luttent plus que pour essayer de se maintenir au sein du Parlement : seuls des libéraux issus de l'UW et des conservateurs de l'AWS, qui ont fait scission pour se regrouper au sein de la Plateforme civique (PO, fondée janvier) y parviennent en obtenant 65 sièges mais le mouvement Solidarność est totalement défait.

La victoire attendue de l'Alliance de la gauche démocratique alliée à Union travailliste (SLD-UP), qui obtient 41 % des suffrages et 216 des 460 sièges à la Diète (au Sénat, 75 sièges sur 100), annonce le retour aux affaires de la gauche. En l'absence d'une majorité absolue à la Diète, Leszek Miller (SLD) est contraint de former un gouvernement avec le PSL, reconstituant, contre l'avis du président Kwaśniewski, l'alliance qui a gouverné le pays entre 1993 et 1997.

Cette alternance en faveur des sociaux-démocrates se fait dans un contexte cependant plus difficile qu'en 1993, lorsque la Pologne bénéficiait d'une forte croissance. Confronté à une situation économique proche de la stagnation (faillite des chantiers navals de Szczecin en juin 2002, fermeture de nombreuses entreprises, taux de chômage préoccupant), le gouvernement Miller, qui souffre de surcroît d'une impopularité chronique, ne parvient pas à défendre son action : voulant réformer le Code du travail en juillet 2002, il provoque la colère des syndicats et des chômeurs et doit renoncer par la suite à faire voter plusieurs projets de lois.

Au sein de la coalition, les divergences, suscitées par les conséquences prévisibles de l'adhésion à l'UE sont vives, notamment avec le PSL, dont le Premier ministre finit par exiger le retrait (1er mars 2003). De même, le plan d'économies budgétaires pour 2004, qui prévoit des coupes importantes dans les dépenses sociales, suscite, outre les critiques du parti libéral Plate-forme civique (PO), celles des syndicats traditionnellement proches du pouvoir, et celles de plusieurs députés du SLD.

Sur la scène internationale, les relations russo-polonaises sont brouillées par le problème de l'enclave de Kaliningrad. En revanche, les liens avec les États-Unis se renforcent considérablement en 2001-2002 et surtout en 2003, lors de la crise irakienne. Alliée de la première heure des États-Unis, la Pologne, en dépit de l'hostilité à la guerre d'une majorité de son opinion publique, signe la « Lettre des Huit » manifestant leur soutien à Washington. En septembre 2003, elle se voit confier le contrôle de l'une des trois zones de sécurité en Iraq, exécutant ainsi, depuis son intégration dans l'OTAN en 1999, sa première mission internationale, mais compromettant également quelque peu ses relations avec l'Allemagne et la France.

2. La Pologne dans l’Union européenne (depuis 2004)

2.1. Intégration dans l'Union européenne sur fond de crise politique

Les 7 et 8 juin 2003, les Polonais approuvent l'adhésion de leur pays à l'Union européenne par 77,45 % de « oui », dernier acte majeur d'un cycle de pré-adhésion qu'ont partiellement refermé les sommets de Copenhague (décembre 2002) et d'Athènes (avril 2003). Le 1er mai 2004, la Pologne devient, ainsi que neuf autres candidats de l'Europe orientale et méridionale, membre de l'UE. Après avoir rejeté, avec l'Espagne de José María Aznar, le projet de traité constitutionnel, et réclamé le maintien du fonctionnement de l'UE élaboré dans le traité de Nice, la Pologne – isolée après la victoire des socialistes en Espagne – obtient, en juin 2004, une concession technique sur le système de vote. En revanche, la demande d'inscription d'une référence au christianisme, pour laquelle elle s'est battue avec plusieurs États, n'est pas retenue.

Lors des premières élections européennes (13 juin 2004), marquées par un taux de participation historiquement bas (20,8 %), le report des voix sur les partis nationalistes, conservateurs et eurosceptiques, tels que la Ligue des familles polonaises (LPR, fondée en 2001), populistes et isolationnistes tels que Samoobrona (Autodéfense) d'Andrzej Lepper, ou souverainistes tels Droit et Justice (PiS), fondé en 2001 par les frères Lech et Jarosław Kaczyński, reflète les craintes de la majorité de la population qui voit dans l'intégration à l'UE une menace pour ses intérêts économiques et ses valeurs morales.

L'adhésion de la Pologne intervient alors qu'elle est entrée dans une crise politique profonde depuis l'annonce, fin mars, de la démission du Premier ministre L. Miller. Cerné par des réformes impopulaires, une série d'accusations de corruption touchant son entourage politique et par une opposition interne à son parti menée par le président Kwaśniewski et par le président de la Diète, Marek Borowski, le Premier ministre joue sa dernière carte en abandonnant la présidence du SLD à l'un de ses proches (mars). Ayant perdu ses derniers soutiens au Parlement lorsqu'une trentaine de parlementaires SLD font dissidence pour fonder un nouveau parti pro-européen, la Social-démocratie polonaise (SDLP), isolé sur la scène extérieure par la défaite de la droite espagnole lors des législatives du 15 mars, L. Miller démissionne (2 mai). Marek Belka obtient de justesse la confiance de la Diète pour diriger le nouveau gouvernement social-démocrate (24 juin). Contraint de composer avec une majorité de circonstance profondément divisée, le nouveau chef de gouvernement, après avoir rejoint le parti démocrate – fondé en mai et nouvelle appellation de l'Union de la Liberté (UW) –, remet, ainsi qu'il l'avait annoncée dès son entrée en fonctions, sa démission (6 mai 2005). Celle-ci ayant été refusée par le président de la République et la tentative d'autodissolution de la Diète ayant échoué peu après, le gouvernement en est réduit à gérer les affaires courantes, jusqu'à la fin de la législature, à l'automne 2005.

Sur le plan international, les relations de la Pologne avec la Biélorussie connaissent une détérioration sensible à la suite de l'arrestation de représentants de la minorité polonaise vivant dans ce pays (400 000 personnes sur 10 millions d'habitants). Accusée par Minsk de fomenter une révolution pour renverser le président biélorusse Alexandre Loukachenko, la Pologne rappelle son ambassadeur.

2.2. La parenthèse de la droite catholique et nationaliste (2005-2007)

Lors des élections parlementaires de septembre 2005, les Polonais, déçus par les sociaux-démocrates, optent pour l'alternance. Le parti conservateur et souverainiste (PiS) de Jarosław Kaczyński l'emporte de justesse avec près de 27 % des voix devant la Plate-forme civique (PO) de Donald Tusk (24,14 %). Seuls les populistes de Samoobrona (56 sièges), les sociaux-démocrates du SLD (55 sièges), les ultracatholiques de la LPR (34 sièges) et le PSL (25 sièges), ancien allié des sociaux-démocrates, sont admis à siéger à la Diète.

Kazimierz Marcinkiewicz (PiS) est nommé Premier ministre, J. Kaczyński ayant préféré renoncer au poste pour ne pas compromettre la candidature de son frère jumeau, Lech Kaczyński, à l'élection présidentielle des 9 et 23 octobre 2005. Grâce à une campagne axée sur des thèmes patriotiques et moralistes et énergiquement relayée par Radio Maryja (station radiophonique catholique, nationaliste, antilibérale et souvent antisémite, fondée en 1991 par le père Tadeusz Rydzyk), Lech Kaczyński, devancé par D. Tusk (PO) au premier tour, l'emporte finalement avec 54,04 % des voix contre 45,96 % à son adversaire grâce au report massif de l'électorat populiste de Samoobrona sur sa candidature.

Bien qu'ils se soient engagés à gouverner ensemble, les conservateurs (PiS) et les libéraux (PO) ne parviennent pas à s'entendre, notamment sur leurs programmes économiques. En outre, l'élection du conservateur Marek Jurek à la présidence de la Diète – un poste qui leur était initialement promis –, pousse les libéraux à rejoindre l'opposition.

Marcinkiewicz forme un gouvernement minoritaire, investi grâce au soutien du PSL, de la LPR et de Samoobrona. Dans l'obligation de consolider sa position, le PiS scelle un accord de coalition avec ces deux dernières formations (avril), mais leur entrée au gouvernement (mai) entraîne la démission du ministre proeuropéen des Affaires étrangères, Stefan Meller puis, en juillet, celle du Premier ministre Marcinkiewicz, en désaccord avec Jarosław Kaczyński. Ce dernier est nommé Premier ministre par son frère jumeau.

Concentrant désormais tous les pouvoirs, les frères Kaczyński prônent une « révolution morale » prohibant l'euthanasie, l'avortement, le mariage homosexuel ; ils prévoient la création d'un ministère anticorruption, le rétablissement de la peine de mort ainsi qu'une campagne de décommunisation, dont une des cibles est le général Jaruzelski, accusé de « crime communiste ». Une nouvelle loi de lustration (entrée en vigueur en mars 2007) contraint entre 400 000 et 700 000 Polonais âgés de plus de 35 ans et exerçant des responsabilités dans la politique, les médias et l'enseignement à fournir la preuve qu'ils n'ont jamais eu d'accointances avec les services secrets de la République populaire sous peine de licenciement. L'Église n'est pas épargnée. Saisie par l'opposition, la Cour constitutionnelle invalide les principales mesures de la loi de lustration (mai).

Sur le plan extérieur, l'arrivée au pouvoir des frères Kaczyński se traduit par la volonté de faire de la Pologne un « grand pays qui compte » dans le jeu européen. Lors du Conseil européen de juin 2007 consacré à l'adoption d'un « traité modificatif », la Pologne obtient le report à 2014 de l'application de la règle de la double majorité. Ses relations avec l'Allemagne sont envenimées par le projet de construction du Nord Stream, gazoduc sous-marin russo-allemand contournant la Pologne et par la résurgence du problème des expulsés allemands lors de la Seconde Guerre mondiale. Empreintes de méfiance, ses relations avec la Russie connaissent une nouvelle tension avec l'instauration par Moscou d'un embargo sur les importations de viande polonaise (novembre 2005) et l'annonce de l'implantation des éléments d'un bouclier antimissile américain sur le sol polonais.

2.3. La cohabitation (novembre 2007-avril 2010)

En juillet 2007, le limogeage pour malversations financières d'Andrzej Lepper– chef de file de Samoobrona, ministre de l'Agriculture et vice-Premier ministre – ouvre une crise politique. Désormais minoritaire, la coalition gouvernementale est rompue, des élections législatives anticipées sont convoquées pour le 21 octobre 2007. Profitant d'une participation forte (53,8 %, la plus importante enregistrée depuis 1991), les libéraux (PO) devancent nettement (41,5 % des voix, 209 sièges) les conservateurs du PiS qui s'incline avec 32,1 % des voix (166 sièges).

La grande coalition de centre gauche, Gauche et Démocrates (Lid), emmenée par Kwaśniewski, l'ancien président social-démocrate, recueille 13,15 % des voix (53 sièges), le PSL, 8,91 % des voix (31 sièges). Samoobrona et la LPR quant à elles, enregistrent une véritable déroute et ne franchissent pas la barre des 5 % nécessaires pour être représentées à la Diète. Un libéral convaincu, Donald Tusk, cofondateur en 2001 de PO (qu'il préside depuis 2003), forme un gouvernement de coalition avec le PSL et devient Premier ministre.

Dès sa prise de fonctions, D. Tusk se heurte à la volonté du président L. Kaczyński qui, selon la Constitution polonaise, a la prérogative en matière de politique étrangère. Toutefois le Premier ministre s'empresse d'envoyer un signal clair de rupture avec la politique européenne menée par les frères jumeaux. Soucieux de renouer une relation apaisée avec l'Allemagne, il met en œuvre, avec la chancelière Angela Merkel, une série de mesures destinées à rapprocher les deux pays (réactivation de l'office germano-polonais pour la jeunesse et de la fondation scientifique germano-polonaise). Côté polonais, le voyage inaugural du ministre allemand des Affaires étrangères Guido Wersterwelle à Varsovie (et non à Paris comme le veut la tradition) est perçu avec satisfaction.

L'adoption à une large majorité du traité de Lisbonne par la Diète (1er avril 2008), longtemps menacée par le blocage des frères Kaczyński, s'accompagne d'une résolution (ratifiée en octobre 2009) garantissant notamment la non application à la Pologne de la Charte des droits fondamentaux de l'UE, et la supériorité de la Constitution polonaise sur la législation communautaire.

En cessant de s'opposer à des négociations d'adhésion de la Russie à l'OCDE, la Pologne obtient de cette dernière la levée de l'embargo appliqué aux viandes polonaises (novembre 2007). De même, le gouvernement Tusk s'abstient de prononcer des sanctions à l'encontre de Moscou, malgré le soutien affiché du président Kaczyński auprès de la Géorgie lors de la crise russo-géorgienne d'août 2008. Redoutant les aspirations hégémoniques de son puissant voisin oriental, la Pologne (comme la République tchèque) déplore l'annonce par le président Barack Obama, de renoncer au projet de bouclier antimissile (septembre 2009), sur lequel Varsovie et Prague comptaient asseoir leur propre sécurité. Varsovie s'engage avec Moscou dans un lent processus de réconciliation entamé avec la participation du Premier ministre russe Vladimir Poutine à la commémoration du 70e anniversaire du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale à Gdańsk (1er septembre 2009) et se poursuivant avec l'invitation faite à D. Tusk d'assister, en avril 2010, au 70e anniversaire du massacre de Katyn.

La disparition le 10 avril 2010 du président Lech Kaczyński ainsi que celle de nombreux hauts responsables politiques et militaires qui trouvent la mort dans l'accident d'avion qui les transportait à Smolensk,afin de participer à la commémoration de Katyn, provoque un émoi considérable en Pologne et crée un fort sentiment d'unité nationale. Conformément à la Constitution, le président de la Diète, Bronisław Komorowski, assure l'intérim. Après une brève période de deuil national, une campagne électorale assombrie par des inondations dévastatrices et marquée par un duel serré avec le candidat conservateur Jarosław Kaczyński, B. Komorowski, candidat de PO, remporte l'élection présidentielle de juillet, recueillant au second tour 53,01 % des suffrages contre 46,99 % à son adversaire.

2.4. Le second mandat de Donald Tusk (2011-2015)

En octobre 2011, la majorité sortante est reconduite à l'issue des élections législatives marquées cependant par une augmentation de l’abstention de 46 % à 51 %. Mettant en avant la bonne résistance de la Pologne à la crise économique et financière avec une croissance de 4 % en 2010-2011 – l'une des meilleures performances au sein de l'UE –, la Plate-forme civique (PO) vient en tête du scrutin avec 39 % des suffrages et 207 sièges devant Droit et Justice de J. Kaczyński (29,8 % ; 157 sièges) et le Mouvement Palikot (RP, 10 % des voix et 40 députés) formé en octobre 2010 par un ancien membre de PO, Janusz Palikot, militant notamment pour une légalisation de l'avortement et une séparation radicale entre l'Église et l'État. Arrivée à la dernière place, l'alliance de la gauche démocratique s'écroule avec 8 % des suffrages et 27 sièges. Le parti paysan (PSL) ayant conservé 28 sièges, un gouvernement de coalition est reformé avec ce dernier par D. Tusk qui obtient la confiance de la Diète le 19 novembre. Dans son discours d’investiture, le Premier ministre trace les grandes lignes d’une politique devant permettre à l’économie polonaise de conserver un rythme de croissance soutenu grâce à de nouveaux investissements dans les infrastructures et le secteur énergétique. Par ailleurs, le gouvernement s’engage à contrer la baisse importante de la natalité, principal sujet de préoccupation à plus long terme, par des mesures sociales adaptées dont la création de crèches.

Largement appuyée par les fonds structurels européens, la réduction de l’écart entre l’économie polonaise et celle des États membres les plus développés de l’UE se poursuit. Cette performance, dont témoignent plusieurs indicateurs parmi lesquels la hausse régulière du niveau de vie depuis dix ans, est presqu’unanimement saluée et s’accompagne d’une discipline budgétaire qui a évité les effets récessifs de mesures d’austérité trop sévères.

Le coût du travail relativement faible a joué également pleinement son rôle en attirant les investisseurs étrangers notamment en provenance d’Allemagne. Et si globalement, le revenu disponible des ménages a augmenté, sa progression s’est ralentie, plus particulièrement depuis 2009, tandis que les inégalités et les disparités régionales sont toujours prégnantes. De plus, le chômage, qui avait considérablement diminué entre 2004 et 2008, est depuis reparti à la hausse.

D’indéniables progrès ont été enregistrés et, dans sa majorité, la population semble le reconnaître. Mais les enquêtes d’opinion réalisées en 2014 révèlent également un mécontentement diffus, une défiance à l’égard de la classe politique et un scepticisme quant aux vertus du marché. Le parti au pouvoir n’échappe pas à une certaine usure comme l’illustrent la baisse de popularité du Premier ministre et le succès relatif de Droit et Justice (PiS) aux élections européennes de mai 2014 (31,8 %, au coude à coude avec PO, bien que la faible participation relativise cette progression), puis aux élections municipales et régionales de novembre.

Auparavant, appelé en août à la présidence du Conseil européen – une reconnaissance du rôle de plus en plus important tenu par son pays –, D. Tusk laisse sa place en septembre à une proche, Ewa Kopacz, présidente de la Diète et n°2 de PO. Misant sur une demande intérieure vigoureuse et sur la contribution du secteur public, le nouveau cabinet (presque inchangé) adopte en décembre une loi de finances prévoyant une croissance de plus de 3 % en 2014 et la réduction du déficit à 2,5 % du PIB en 2015 ce qui permettrait à la Pologne de sortir de la procédure de déficit excessif réengagée par l’UE en 2013.

Au plan international, le gouvernement polonais est particulièrement préoccupé par la déstabilisation orchestrée par la Russie dans l’est de l’Ukraine. Adoptant une position de fermeté, et assurant Kiev de son soutien, il réaffirme son engagement au côté des États-Unis et de l’OTAN dont il souhaite un renforcement de la présence militaire sur son territoire. Les relations avec Moscou, qui s’étaient améliorées depuis 2007, ne peuvent qu’en pâtir.

2.5. Le retour au pouvoir des conservateurs « eurosceptiques » (2015-)

Les performances économiques de la Pologne n’empêchent pas l’usure du gouvernement sortant. Déjà vainqueurs en mai 2015 avec l’élection d’Andrzej Duda à la présidence de la République, les conservateurs du PiS remportent la majorité absolue des sièges à la Diète et au Sénat le 25 octobre avec plus de 37 % des voix. La Plate-forme civique subit ainsi un important revers avec 24 % des voix et 138 sièges. Fait sans précédent, la gauche (unie au sein de la coalition formée notamment par le SLD et les écologistes) est éliminée du Parlement en ne parvenant pas à franchir le seuil électoral (8 % des suffrages) nécessaire pour y accéder. Cette revanche de J. Kaczyński conduit à la nomination de Beata Szydło, vice-présidente du parti Droit et Justice, au poste de Premier ministre.

Élue sur la base d’un programme à la fois souverainiste, patriotique et social, la nouvelle majorité affiche dans les mois qui suivent sa volonté de rupture par des mesures controversées, dont une loi (janvier 2016) visant à renforcer le contrôle sur les médias publics, tandis qu’un différend politico-juridique l’oppose au Tribunal constitutionnel.

Un « bras de fer » est engagé entre ce dernier – dont la composition a préalablement été renouvelée par la majorité sortante –, et le nouveau gouvernement, accusé de son côté de porter atteinte à la séparation des pouvoirs par ses propres réformes ; il conduit à la paralysie de la juridiction, les clarifications demandées et les recommandations émises par la Commission européenne envenimant les relations déjà crispées entre Varsovie et Bruxelles.

Les désaccords avec l’Union européenne portent en effet également sur la politique migratoire et la relocalisation par quotas des réfugiés (en provenance de Syrie, d’Afghanistan et d’Afrique de l’Est pour la plupart), une solution refusée par la Pologne, confortée en la matière par les autres États membres du « groupe de Visegrad », dont la Hongrie, son plus proche allié.

À l’instar de celle-ci et de son Premier ministre V. Orbán, le PiS semble ainsi vouloir imposer un tournant national-conservateur que le gouvernement doit toutefois concilier avec l’héritage économique laissé par ses prédécesseurs et l'adhésion à l’UE en 2004. Il doit aussi tenir compte de l’opposition intérieure à ces tendances eurosceptiques et nationalistes, mobilisée notamment par le comité de défense de la démocratie (KOD), qui est créé dès novembre 2015.

De nouvelles manifestations pour protester contre les menaces sur l’indépendance de la justice ont ainsi lieu en novembre 2017. En décembre, alors que Beata Szydło est remplacée par Mateusz Jakub Morawiecki, figure plus modérée et pragmatique du PiS, la détermination du gouvernement polonais à poursuivre sa réforme du système judiciaire (après la mainmise de plus en plus effective sur le Tribunal constitutionnel, nouvelle loi sur la Cour suprême et loi sur le Conseil national de la magistrature, adoptées par le parlement polonais le 15 décembre), malgré les recommandations et les appels au dialogue des autorités européennes, aggrave les tensions avec Bruxelles. Constatant l'existence d'un risque clair de violation de l'État de droit en Pologne, la Commission accentue sa pression en enclenchant, le 20 décembre, la procédure dite « de l’article 7 » du traité de l’Union (relatif aux sanctions prévues à l’encontre d’un État membre qui violerait les valeurs fondamentales de l’UE), parallèlement aux procédures d’infraction intentées depuis 2016 et aux recours devant la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE).

Si la loi sur la Cour suprême est amendée (réintégration des juges mis à la retraite, novembre 2018) avant que la CJUE ne demande sa suspension, le pouvoir ne cède aucunement, comptant sur l’enlisement de la procédure de l’article 7.

En dépit d’une nouvelle procédure lancée en avril 2019 et visant cette fois le régime disciplinaire pour les juges, qui « n’offre pas les garanties nécessaires pour les protéger du contrôle politique », le PiS sort renforcé du scrutin européen de mai : il arrive en tête avec 45,38 % des suffrages devant la coalition pro-européenne formée autour de la Plate-forme civique (38,47 %). Ce succès est confirmé aux élections législatives d’octobre : mettant notamment en avant ses mesures sociales en faveur des familles, le parti Droit et Justice recueille 43,5 % des voix et conserve sa majorité absolue à la Diète en obtenant le même nombre de sièges (235), mais la perd au Sénat. La Plate-forme civique obtient 134 sièges avec 27,4 % des suffrages devant l’alliance de la Gauche (49 et 12,5 %), la coalition créée autour du PSL (30 et 8,5 %) et l’extrême droite populiste (11 et 6,8 %).

En novembre, tandis que l’opposition parvient à faire élire l’un de ses représentants à la présidence du Sénat (Tomasz Grodzki de la Plate-forme civique), M. J. Morawiecki est reconduit à la tête du gouvernement.