épopée

(grec epopoiia, de epos, poème, et poieîn, faire)

La Divine Comédie, l'Enfer
La Divine Comédie, l'Enfer

Long récit poétique d'aventures héroïques où intervient le merveilleux.

LITTÉRATURE

L'épopée est un genre littéraire : c'est un long poème empreint de merveilleux et narrant les aventures d'un héros ou célébrant un grand fait. Selon l'étymologie, la poésie épique est essentiellement narrative (de epos, « parole »).

Définition

L'épopée est définie par Aristote dans la Poétique comme un récit de style soutenu évoquant les exploits de héros et faisant intervenir les puissances divines. Voltaire l'a définie comme étant « un récit en vers d'aventures héroïques ». Elle diffère de la poésie lyrique par son caractère impersonnel et objectif, bien qu'elle se nourrisse de « fictions » (Nicolas Boileau). Dans l'épopée, le poète s'efface : seuls les héros du poème agissent et parlent. Dans la poésie lyrique, au contraire, le poète exprime en son propre nom ce qu'il ressent.

L'épopée se distingue aussi de la poésie dramatique, essentiellement destinée à soutenir une représentation scénique. En parlant de la poésie épique, les critiques font toujours référence aux poèmes homériques. C'est en effet de l'analyse de ces œuvres qu'ils ont déduit les règles qu'ils ont prétendu imposer au genre tout entier, que ce soit pour le choix du sujet et de l'époque, pour l'emploi du merveilleux, ou encore pour la marche et la durée de l'action. En France, Boileau, dans le chant III de son Art poétique, est un de ceux qui ont formulé les règles les plus étroites. Mais ces règles furent loin d'être admises unanimement, et il est bien évident que le Moyen Âge les ignorait.

On a distingué deux espèces d'épopées : la première comprendrait celles qui sont sorties spontanément d'une civilisation naïve, parfois sans auteur connu, œuvres collectives anonymes et formées de morceaux isolés assemblés plus tard par les soins d'un habile metteur en œuvre : telles seraient l'lliade, l'Odyssée et les grands poèmes sumérien (Gilgamesh) et hindous (Ramayana, Mahabharata). L'autre série comprendrait des œuvres purement littéraires, composées à loisir dans une période de civilisation raffinée par des poètes cultivés et habiles: tels seraient l'Énéide de Virgile ou la Henriade de Voltaire. Mais la critique moderne trouve cette distinction trop absolue : Victor Bérard pense notamment que l'auteur de l'Odyssée est déjà un véritable artiste qui a mis en œuvre des documents antérieurs.

Petite histoire de l’épopée

Les épopées antiques

L'épopée remonte aux origines de toute littérature : elle est le point de contact de deux ordres narratifs, l'un primitif et oral, l'autre relevant de la littérature savante. Toute épopée suppose une élaboration littéraire, fût-elle orale, due à un travail personnel et conscient, même s'il s'exerce sur des mythes connus de tous. L'épopée transmet un corps de récits traditionnels relatifs à l'ordre du monde et de la communauté, ordre dont l'existence et la stabilité sont le fruit d'exploits des dieux ou de héros exceptionnels. Telles sont l'épopée sumérienne Gilgamesh (3000 avant J.-C., la plus ancienne épopée connue), l'Iliade et l'Odyssée, les épopées sanskrites Ramayana, Mahabharata.

L'épopée proprement littéraire est très présente dans l'Antiquité gréco-latine : les Argonautiques d'Apollonios de Rhodes, la Guerre punique de Naevius, les Annales d'Ennius, l'Énéide de Virgile, la Pharsale de Lucain, la Thébaïde de Stace et les Puniques de Silius Italicus.

Les épopées médiévales

Les épopées médiévales célèbrent les idéaux de la chevalerie. Les plus célèbres sont les chansons de geste françaises (dont la Chanson de Roland), l'épopée germanique des Nibelungen, les sagas, les Eddas et la poésie scaldique scandinaves et, en Espagne, le Cantar de mio Cid. En Iran, il y eut l'œuvre de Ferdowsi, le Chah-Namè.

L'épopée courtoise, qui mêle aventures guerrières et amoureuses, apparut au xiie s. (romans du cycle d'Arthur). À côté des chansons de geste et des romans bretons, l'épopée française comprend au Moyen Âge les romans inspirés des épopées de l'Antiquité, écrits en vers octosyllabiques: le Roman de Thèbes, le Roman de Troie et le Roman d'Énéas (anonyme, vers 1160), s'ils sont de pâles démarquages des épopées classiques, ils s'en distinguent cependant par quelques transformations imposées par l'esthétique courtoise. Le chef-d'œuvre de l'épopée médiévale reste la Divine Comédie de Dante (début du xive s.), œuvre qui se rattache à la fois au genre lyrique et à la poésie allégorique et didactique.

Les épopées au xvie s.

Si le Roland furieux de l'Arioste peut être considéré comme le prolongement de la tradition épique médiévale, les poètes de la Pléiade méprisent les genres cultivés au Moyen Âge et prennent l’Antiquité pour modèle ; c'est Virgile ou Homère que Joachim Du Bellay recommande d'imiter, mais en recourant au fonds légendaire français. Avec la Franciade, inachevée, Pierre de Ronsard échoue à créer l'épopée nationale, équivalente à l'Énéide, qui conterait les origines légendaires de la France. La présence d'un surnaturel emprunté à la mythologie antique est en effet totalement injustifiée dans cette œuvre. Le seigneur du Bartas, qui utilise les seules références bibliques dans son épopée inachevée de la Semaine, n'est pas plus heureux. Ce sont, en France, les Tragiques d'Agrippa d'Aubigné, d'inspiration protestante, et, au Portugal, les Lusiades de Luís Vaz Camões, d'inspiration catholique, qui, par le souffle et l'ampleur, et malgré leurs imperfections, peuvent être regardées, au xvie s., comme de véritables épopées.

Relance de l'épique au xviie s.

Au xviie s., le succès de la Jérusalem délivrée du Tasse et la vogue des romans précieux, à sujets historiques, comme Artamène ou le Grand Cyrus (1649-1653) de Madeleine de Scudéry, relancent l'intérêt pour l'épique. Mais le Moïse sauvé (1653) du sieur de Saint-Amant, l'Alaric (1654) de Georges de Scudéry, la Pucelle (1656) de Jean Chapelain, le Clovis (1656) de Jean Desmarets de Saint-Sorlin restent des œuvres régulières, laborieuses et sans génie.

L'épopée doit, selon Boileau, délaisser le merveilleux chrétien, galvaudé par ces auteurs, et revenir au merveilleux païen en le traitant comme une source d'allégories. La plus belle épopée du xviie s., le Paradis perdu (1667) du puritain anglais John Milton, est cependant tout entière transposée de la Bible.

Le renouvellement de l’épopée

Au siècle suivant, Voltaire, dans sa Henriade, consacrée à Henri IV, ne suivra pas les préceptes de Boileau, mais échouera à utiliser le merveilleux chrétien. Au merveilleux chrétien est également empruntée la matière de la Messiade du poète allemand Friedrich Gottlieb Klopstock.

Vers la fin du xviiie s., alors que le genre semblait définitivement abandonné, l'enthousiasme philosophique et l'amour de la nature développés par Jean-Jacques Rousseau et les encyclopédistes inspirent à certains poètes le désir de renouveler entièrement l'épopée. Ainsi, on doit à André Chénier un intéressant essai d'épopée scientifique, l'Hermès, dont il ne reste que quelques centaines de vers. Bien que rédigés en prose, les Martyrs de René de Chateaubriand peuvent se rattacher, par leur ampleur et le projet synthétique qui les soutient, au genre épique. Jocelyn et la Chute d'un ange (1838) d’Alphonse de Lamartine sont des fragments d'une épopée gigantesque qui devait retracer l'histoire de l'humanité depuis les origines jusqu'au Jugement dernier.

Parallèlement à la redéfinition du genre au début du xixe s., la production épique proprement dite tend à disparaître. Néanmoins, le romantisme, par son goût des traditions populaires et la primauté qu'il accorde à l'imagination, a pu recréer un climat favorable à l'épopée. Ainsi Victor Hugo, avec ses « petites épopées » de la Légende des siècles (1859), sans lien direct entre elles, mais groupées dans un ordre chronologique, selon une vaste conception de l'histoire humaine, a peut-être trouvé la formule qui convenait le mieux à son temps. Leconte de Lisle, dans ses Poèmes barbares, évoque à son tour, dans une large fresque, l'histoire des religions.

Au xxe s., alors que la poésie s'est orientée, dans sa presque totalité, vers la transcription d'expériences intérieures, tandis que s'est diversifiée et complexifiée notre conception de l'histoire, l'épopée ne semble plus avoir de place dans la littérature. Peut-être l'épopée dérisoire que constitue l'Ulysse (1922) de James Joyce marque-t-elle la mort du genre épique.