Moyen Âge

Baptême de Clovis
Baptême de Clovis

Période de l'histoire de l’Occident, située entre l'Antiquité et les Temps modernes (ve-xve siècles).

Le Moyen Âge occidental est traditionnellement situé entre la chute du dernier empereur romain d'Occident (476) et la découverte de l'Amérique (1492), même si ces deux dates sont arbitraires et restent discutables.

La civilisation médiévale se définit par quatre caractéristiques majeures : le morcellement de l'autorité politique et le recul de la notion d'État ; une économie à dominante agricole ; une société cloisonnée entre une noblesse militaire, qui possède la terre, et une classe paysanne asservie ; enfin, un système de pensée fondé sur la foi religieuse et défini par l'Église chrétienne.

1. Le cadre chronologique

L'expression « moyen âge » date du xviie siècle : ce serait Christophe Kellner (Cellarius), professeur d'histoire à l'université de Halle, qui l'aurait employée pour la première fois, en 1688 (Historia medii aevi). La définition, commode chronologiquement, suggère ainsi que la période de mille ans, archaïque et barbare, qui a rompu avec les modèles classiques de l'Antiquité, n'est que l'attente obscure des prestiges de la Renaissance et des Temps modernes. Cette longue période est pour la première fois réhabilitée au xixe siècle, mais dans une vision simpliste (l’ère « gothique ») campée de caricatures romantiques, du chevalier toujours preux au serf irrémédiablement « attaché à la glèbe ». Le langage commun n'est d’ailleurs toujours pas exempt des images conventionnelles d'un Moyen Âge plus mythique que réel, encore synonyme de retour aux limbes, de médiocre et d'inaccompli.

Depuis les années 1930, les historiens s'attachent à rendre son identité à cette longue période de lentes mutations, au cours de laquelle une société complexe s'est épanouie en Occident. En particulier, les études minutieuses faites en France par l'école historique des Annales – et notamment par Marc Bloch, Georges Duby et Jacques Le Goff – ont permis de mettre fin à cette tradition d’idées fausses.

Pour délimiter un cadre chronologique à ce long « Moyen Âge », on ne peut se référer à des dates politiques. Si 395 marque la fin de l'unité de l'Empire romain, avec la séparation entre Empire d'Orient et Empire d'Occident, 476 voit la disparition du dernier empereur romain d'Occident. À l'autre extrémité de la période, la prise de Constantinople par les Turcs ottomans en 1453 est surtout significative pour l'Orient ; en Occident, on pourrait se référer à la mort du dernier roi « médiéval », Louis XI de France, en 1483. Il n’en demeure pas moins que le voyage de Christophe Colomb en 1492, lourd de conséquences, est la date communément admise pour définir la fin du Moyen Âge et le début de l’époque moderne.

La rupture avec les périodes qui encadrent le Moyen Âge n'est donc pas aussi nette qu'on le laisse souvent entendre, et, bien que les repères chronologiques soient indispensables, les évolutions se dessinent plus sûrement dans les mutations économiques et sociales qui, en aucun domaine, n’ont été brutales.

2. Le haut Moyen Âge (fin du ve-ixe siècle)

2.1. L’héritage antique

Introduction

Le Moyen Âge perce déjà dans le monde antique du iiie siècle. La volonté d'échapper à l'État – à sa pression fiscale et aux charges militaires ou municipales – caractérise alors le comportement social. Contraction démographique et étiolement urbain amorcent la ruralisation de l’économie, tandis que se dégrade la condition des colons endettés et que s'améliore celle de l'esclave, qui, de plus en plus, a la jouissance d'une terre. Le développement du christianisme, religion officielle de l’Empire romain depuis la fin du ive siècle, assoit les bases de la puissance ecclésiastique.

L'assimilation des Barbares

Déclenchées par les Huns, qui, à la fin du ive siècle, entreprennent une migration vers l'ouest et poussent devant eux Ostrogoths et autres peuples germains, les grandes invasions n’ont jamais pris l'aspect d'une ruée massive, même si le mouvement s'accentue à partir de 406. Elles n'ont pas non plus détruit brusquement l'Empire romain, qui, dans un premier temps, s'est efforcé d'intégrer ces populations. Un Occident nouveau est né de la lente fusion des peuples et des coutumes.

Les Barbares savent tirer profit de la romanité, acceptent le code d'hospitalité qui préside à leur implantation, s'intègrent (tel Théodoric) au fonctionnariat impérial, ou rédigent (à l'instar d'Alaric) un code de lois, dit bréviaire, inspiré du droit romain.

Le maintien de la langue latine, la continuité entre nombre de grandes villes antiques et médiévales, la permanence des anciens circuits commerciaux sont autant de survivances de l'Antiquité dans le haut Moyen Âge. Par ailleurs, l'apport barbare imprègne ce monde nouveau : la notion de droit public s'estompe, civil et militaire ne se distinguent plus guère dans des communautés où prévaut la valeur guerrière du chef, élu et mythifié. L'économie sylvo-pastorale des Barbares renforce la ruralisation en cours depuis le Bas-Empire. La fuite devant les responsabilités imposées par l'État se conjugue avec le repli des aristocraties sur leurs terres, refuge et fondement de leur pouvoir.

Le rôle de la foi chrétienne

Le véritable ciment des communautés antiques et barbares est le christianisme. Le prosélytisme des moines (Colomban, Benoît de Nursie), soutenu par le pape Grégoire le Grand, est renforcé par l'écrasement de l'arianisme en 653.

Les premiers royaumes barbares sont balayés par les Vandales et les Francs. Alors que, de la Provence à l'Italie et à l'Espagne, le pouvoir éclate en principautés territoriales, Vandales et Francs constituent des royaumes centralisés. Celui des Francs doit en partie son succès au baptême de Clovis (498 ou 499), qui acquiert, outre la reconnaissance de l'empereur byzantin, le soutien du clergé et du pape, dont il devient le principal appui : au moment où, dans l'empire d'Orient, se multiplient les controverses et les hérésies, le christianisme devient ainsi en Occident le passage obligé vers le pouvoir.

2.2. Vers un grand empire chrétien

Le sacre du roi Pépin le Bref à Saint-Denis, par le pape Étienne II en 754, confirme le prestige franc et marque un nouveau pas vers la sacralisation d'une famille : celle des Carolingiens. Le principe dynastique complète désormais l'élection coutumière.

Le couronnement impérial de Charlemagne

Le secours apporté par Charlemagne au pape, menacé par la noblesse romaine, fait du Carolingien le candidat à la restauration de l'empire d’Occident : son couronnement sanctionne cette évolution. Lors de la cérémonie romaine à la Noël 800, le pape Léon III, en couronnant l'empereur avant qu'il ne soit acclamé, manifeste la suprématie du spirituel sur le temporel, Charlemagne se considérant « empereur couronné par Dieu ». En revanche, Charlemagne, couronnant lui-même son fils Louis le Pieux en 813, se propose de rappeler que le pape n'est que le premier des évêques, dépendant de la protection militaire, donc du pouvoir temporel.

De fait, l’Empire franc des Carolingiens s'appuie principalement sur l'armée. Mais celle-ci n'en est pas le seul fondement. Charlemagne entreprend une rénovation de l'État à partir d'Aix , où siège la chapelle (Aix-la Chapelle). La reprise en main de l'administration régionale par l'intermédiaire des comtes, représentants assermentés de l'empereur, surveillés par les missi dominici, le retour à une législation publique, votée par les hommes libres des plaids et consignée dans les capitulaires (ordonnances), un réseau de fidélités entrecroisées remontant à la personne même de l'empereur : tout concourt au redressement et à la consolidation de l'autorité impériale.

L'Empire devient un Empire germanique

Alors même que s'édifie une civilisation nouvelle, l'Empire carolingien révèle ses faiblesses. Toujours unifié sous Louis le Pieux, il profite encore un temps des conquêtes de Charlemagne. Toutefois, la politique du nouveau souverain, trop favorable à l'Église, met en danger la suprématie du pouvoir laïque. La réforme clunisienne (909) placera d'ailleurs les monastères sous l'autorité directe de Rome (histoire de Cluny).

Divisé par les fils de Louis le Pieux en trois royaumes rivaux (Francie occidentale, Lotharingie, ropyaume de Germanie) malgré la proclamation du droit d'aînesse en 817, l'Empire carolingien n'a plus qu'une unité théorique.

Mais en Germanie, où le roi a conservé le contrôle des duchés régionaux, l'idée d'empire et les structures carolingiennes sont assez vigoureuses pour que le roi Otton Ier de Germanie prenne à son tour la couronne impériale, en 962. Chrétien sincère, il n'en impose pas moins sa tutelle au pape et au clergé germanique. Les leçons de l'échec politique des Carolingiens ont été retenues. Toutefois, l'Empire ressuscité n'est plus que strictement germanique, et bientôt appelé Saint Empire romain germanique.

Pour en savoir plus, voir l'article Carolingiens.

3. L'âge féodal (xe-xiiie siècle)

3.1. La société féodale

Dès le viie siècle émerge une aristocratie guerrière composée de nobles de fonction et de nobles de lignage, qu'aucune solidarité de groupe social ne cimente. Charlemagne incite ces hommes à la recommandation mutuelle afin de remplacer les conflits de clans par des relations de fidélité.

L'engagement vassalique

La richesse foncière constitue le fondement de la puissance de ces aristocrates. Les mieux nantis (vassaux royaux) disposent de terres en toute propriété (les alleux, issus d'héritages familiaux), mais aussi d'honneurs, concédés pour la durée d'exercice d'une charge (comtale par exemple), et de bénéfices accordés en échange de services (surtout militaires). Devenu héréditaire, par transmission familiale des fidélités, le bénéfice ne tarde pas à être la cause même de l'engagement vassalique.

La puissance se mesure donc au nombre d'hommes à qui l'on est en mesure de procurer une terre en échange de leur engagement. Inversement, il devient tentant pour les vassaux de multiplier leurs fidélités afin d'accroître le nombre de leurs bénéfices. Et beaucoup d'hommes libres cherchent à se recommander : en ces temps incertains, servir un protecteur vaut mieux qu'une totale indépendance.

Évêques et abbés, à la recherche d'une protection, entrent aussi en vassalité et n'échappent pas à l'intégration dans l'univers féodal. Ne pouvant, du fait de leur vocation religieuse, remplir les obligations militaires, ils ont, depuis les temps carolingiens, confié la gestion des églises et des abbayes à des avoués laïques. Ceux-ci se sont peu à peu approprié les domaines ecclésiastiques, ainsi menacés de dissolution par les partages successoraux.

En France, le transfert de l'autorité publique entre les mains des châtelains se poursuit, sans qu'il soit possible d'affirmer que cette anarchie féodale ait été le tombeau du pouvoir ou, au contraire, son plus efficace refuge.

La multiplication des fidélités vassaliques, devenues concurrentes, jette les nobles dans d'interminables conflits qui accroissent l'insécurité de populations, déjà terrorisées par les catastrophes annoncées à l'approche de l'an 1000. Contrainte subie ou protection illusoire, la dépendance des hommes se généralise à tous les échelons d'une société que l’évêque Adalbéron de Laon, en 1015, divise entre ceux qui prient (oratores), ceux qui combattent (bellatores) et ceux qui travaillent (laboratores) – c'est-à-dire entre le clergé, la noblesse et le tiers état.

Pour en savoir plus, voir l'article féodalité.

L’émergence des États

Entre le xie et le xiiie siècle, la notion d'État n'est encore qu'en gestation, mais l'idée que le roi doit gouverner pour le bien commun s'affirme de plus en plus. La notion de pouvoir public progresse au cours du xiiie siècle ; ainsi s'explique le rôle croissant des assemblées de contrôle (états, parlements, Cortes), qui, selon les pays, équilibrent un pouvoir monarchique consolidé par le principe dynastique, légitimé par le sacre et appuyé sur l'Église.

En Angleterre, l'équilibre des pouvoirs s'instaure au milieu de violents conflits. La victoire de Guillaume le Conquérant à Hastings en 1066 ouvre l'île saxonne à la colonisation et à la féodalité normandes.

En France, les succès de la monarchie capétienne se confirment tardivement. Hugues Capet, encore aux prises avec les féodaux, n'a pour lui que l'aura de son sacre. Ses successeurs, de Robert le Pieux à Philippe Ier, ont pour seul souci d'assurer la dynastie des Capétiens.

Il faut attendre Philippe II Auguste et ses victoires sur l'Angleterre et le Saint Empire (bataille de Bouvines en 1214) pour voir s'affirmer l'indépendance du royaume de France.

Le rayonnement et la piété personnels de Louis IX (Saint Louis, après sa canonisation au xiiie siècle) portent le prestige royal à son comble. Le roi s'attache à moraliser les mœurs féodales.

La Hongrie, christianisée au xie s.siècle, parvient à maintenir son indépendance. Malgré la Bulle d'or, concédée par le roi André II en 1222, qui renforce le pouvoir des magnats, la tradition monarchique conserve toute sa vigueur.

En Espagne, les petits royaumes chrétiens du Nord – Asturies, Castille, Aragon et Navarre – poursuivent depuis le viiie siècle la lutte contre les musulmans, maîtres du califat de Cordoue et du royaume de Grenade. La Reconquista, croisade des chrétiens de la péninsule Ibérique, marque des progrès décisifs au début du xiiie siècle, malgré la résistance de Grenade. L'Espagne chrétienne, divisée en royaumes, ne parvient pas à réaliser son unité. Cependant, des rois comme Ferdinand III en Castille (1217-1252) et Jacques Ier en Aragon (1213-1276) structurent fermement les institutions monarchiques et publiques, que contrebalancent les Cortes.

En Italie, l'explosion urbaine et les forces économiques modèlent réellement les frontières politiques, surtout dans le nord du pays. Quelques villes dominent : Gênes, enrichie par son monopole commercial en mer Noire depuis 1261 ; Milan ; Florence ; et surtout Venise, grande bénéficiaire de la quatrième croisade (1202-1204), véritable « thalassocratie » dans laquelle le doge contrôle l'aristocratie marchande, dont seules quelques familles constituent le Grand Conseil. Dans de nombreuses communes italiennes, les podestats, d'abord nommés par les empereurs germaniques puis élus au xiiie siècle, jouent le rôle d'arbitres et détiennent la réalité de l'autorité publique. L'exemple des villes italiennes montre, plus que tout autre, l'influence des forces économiques sur la structuration politique des États.

3.2. Les mutations sociales

Introduction

Alors que les variations de fortune au sein de chaque groupe introduisent une stratification nouvelle entre riches et pauvres, l’ancienne division tripartite de la société perdure, et nul ne peut y échapper : on reste orator (membre du clergé), bellator (membre de la noblesse) ou laborator (membre du tiers état), et tous ne profitent pas de manière égale des périodes d'expansion économique.

Le monde paysan

Les progrès de l'agriculture contribuent à l'amélioration du sort des populations, sur les plans juridique et économique. Au xiiie siècle, le servage, encore symbolisé par le paiement en argent du chevage, du formariage et de la mainmorte, est devenu résiduel. La liberté s'obtient soit par rachat individuel, soit au moyen de formalités collectives, soit encore à l'occasion des concessions de chartes de défrichement.

La préférence des tenanciers (détenteurs de tenures) va aux terres à cens, dont le loyer (payé en argent et fixé une fois pour toutes) se dévalue régulièrement, alors qu'augmentent le prix de la terre et celui des céréales. Pour leur part, les détenteurs des tenures à champart (ou terrage, ou agrière), astreints à verser un pourcentage de la récolte (du huitième au quart), s'enrichissent nettement moins vite.

De nombreux paysans, engagés dans la modernisation de leur exploitation, s'endettent. Le phénomène est notable à la fin du xiie siècle, les terres étant grevées de rentes. Les prêteurs sont juifs, lombards, paysans riches ou bourgeois ; les seigneurs eux-mêmes n'hésitent pas à jouer le rôle de banquiers. Aussi ne bénéficient de l'expansion que l'alleutier et le fermier à cens, libres de corvée et de rente : ces paysans aisés ne représentent guère que 2 % environ de la masse rurale. Beaucoup n'ont que de petites tenures (moins de 2 ha) ; d'autres, brassiers ou manœuvriers, n'en possèdent aucune et sont employés comme journaliers.

Le temps des seigneurs

L'univers féodal se transforme également. Si les biens ecclésiastiques profitent des dons pour s'accroître, de nombreux domaines laïques souffrent des partages successoraux et se parcellisent, notamment en Île-de-France, où des « seigneuries croupions » résultent de l'absence du droit d'aînesse.

Accaparés par leurs activités, les seigneurs préfèrent confier la gestion de leur domaine à des régisseurs professionnels, choisis parmi les ministériaux. Pour beaucoup, les revenus ont diminué : les terres accensées (c'est-à-dire prises à cens) ne rapportent plus guère, et le seigneur s'attache désormais à développer les revenus céréaliers de son propre domaine (appelé la réserve), à renforcer les droits de mutation et à multiplier les amendes. Mais cela ne suffit pas toujours à préserver l'équilibre des fortunes.

En outre, la chevalerie, en fusionnant avec la noblesse de lignage à la fin du xiie siècle, a apporté à celle-ci son prestige militaire. Les mouvements de paix, le développement de l'armée de métier, l'affermissement du pouvoir public ternissent, dès le xiiie siècle, la réputation de l'aristocratie combattante.

Vivre noblement coûte cher. Aussi, bien des manifestations symboliques de la condition chevaleresque sont-elles réduites ou transformées : seul le fils aîné est adoubé, et seule la fille aînée est mariée. Les seigneurs n'en continuent pas moins à s'adonner aux tournois, et ils écoutent encore les récits des jongleurs et des troubadours chantant l'amour courtois dans la grande salle du vieux château fort, dont le rôle militaire s'efface progressivement devant la puissance économique et judiciaire du seigneur.

Ainsi, à l'appauvrissement économique s'ajoute la détérioration de l'image sociale d'une noblesse. Démunies, nombre de familles seigneuriales, incapables de continuer à vivre noblement, tombent dans la déchéance. Afin de régénérer une noblesse qu'en outre il veut plus soumise, le roi (en France notamment) n'hésite pas, dès la fin du xiiie siècle, à anoblir de riches bourgeois pour lesquels la réussite sociale tient lieu d'honneur.

La place de l'Église

D'un monde en mutation surgissent des forces nouvelles, dont la foi est l'une des plus dynamiques. La tâche de l'Église est donc d'envergure.

Aux plus belliqueux, elle prêche la paix de Dieu et la trêve de Dieu, tandis qu'elle détourne les énergies vers les croisades contre les infidèles d'Orient et d'Espagne, et contre les Slaves païens (xiie-xiiie siècle).

Aux plus pacifiques, une floraison de nouveaux ordres monastiques offre des havres de méditation ou de travail : ainsi en va-t-il des chartreux de Grandmont , de l'abbaye de Fontevraud et des 650 filiales de l'ordre de Cîteaux, fondé entre 1098 et 1112 par saint Robert de Molesme et saint Bernard de Clairvaux, le rénovateur de la règle bénédictine.

Aux plus politiques incombe la tâche de désengager l'Église du monde laïque. Le pape Grégoire VII (1073-1085) s'y emploie tout particulièrement. Il rappelle la suprématie du spirituel sur le temporel, condamne la simonie et l'investiture laïque des évêques, dans les vingt-sept propositions de son Dictatus papae, en 1075.

Le renouveau culturel que l'Église a stimulé dans les scriptoria des monastères et dans l'édification des premières églises romanes à partir de 1070 sont les manifestations tangibles d'une vive piété.

Les exclus

Les mutations sociales n'ont guère facilité l'intégration des non-chrétiens, ni amélioré la condition des exclus. Victimes du regain de piété chrétienne lié aux croisades, les Juifs sont stigmatisés par le concile du Latran de 1215. Ils sont repoussés dans des ghettos lorsqu'ils ne sont pas expulsés, à plusieurs reprises, de France et d'Angleterre notamment. Leurs biens sont saisis et leurs créances annulées. Fous et lépreux ne vivent que de la générosité, tout comme les mendiants qui, depuis la fin du xiie siècle, se rassemblent dans les maisons-Dieu. Les multiples errants, tels les pastoureaux au xiiie siècle, sont suspectés d'hérésie. Rejetés de tout groupe social, brigands et charbonniers écument les campagnes et enflamment les « effrois » (révoltes paysannes).

3.3. La civilisation rurale

Introduction

La production agricole semble suffire aux ixe et xe siècles, sans qu'il soit nécessaire d'accroître la surface exploitée. L'équilibre entre les terres cultivées (ager) et les zones de pacage et de forêt (saltus), dont les ressources sont indispensables à la vie quotidienne, est préservé. Ce système procure même un surplus en céréales, en vin ou en produits artisanaux, qui contribue à sortir le domaine de son apparente autarcie. L'économie monétaire pénètre les campagnes.

Soumise à de violents chocs démographiques (pestes et famines récurrentes) aux ve et viie siècle, la population occidentale s'accroît de façon notable durant les deux siècles suivants. Ce phénomène est caractérisé par un rééquilibrage de l'occupation des territoires de l'Europe du Nord. Mais l'espérance de vie moyenne ne dépasse guère 30 ans, et près de 45 % des enfants n'atteignent pas l'âge de 5 ans. La quasi-totalité de la population, groupée en hameaux isolés les uns des autres par de vastes étendues incultes, vit essentiellement des richesses issues de la terre.

Au xie siècle, on peut dénombrer en France 6,2 millions d’habitants ; un état des feux (foyers fiscaux) dressé en 1328 permet d'estimer la population du début du xive s.siècle entre 12 et 16 millions. Dans le même temps, l'Italie gagne près de 5 millions d'âmes (passant de 5 à 10 millions). En Angleterre, le Domesday Book de 1085 fait état d’une population de 1,3 million de personnes, qui passe à 3,7 millions à la fin du xiiie siècle. En outre, l'âge moyen serait passé de 22 à 35 ans entre 1100 et 1275, le nombre moyen d'enfants par couple augmentant de 4 à 5.

Certes, la surmortalité – enfants en bas âge et femmes en couches notamment –, la croissance plus dynamique en Europe du Nord qu'en Europe du Sud prouvent que bien des déséquilibres démographiques demeurent. Mais, dans l'ensemble, la croissance est indubitable, à la fois cause et conséquence de l'expansion économique.

Les grands défrichements

En Germanie, la poussée vers l'est (Drang nach Osten) est un triple mouvement de christianisation, de colonisation et d'urbanisation. Il est largement impulsé par l'Église chrétienne, les féodaux et l’ordre Teutonique. Du Brandebourg à la Poméranie, la progression est remarquable entre 1130 et 1180. Quittant des domaines que trop de partages ont rendus exigus, attirés par la promesse de terres gratuites, Allemands, mais également Flamands et Hollandais s'en vont fonder, entre autres, Lübeck, Berlin, Francfort-sur-l'Oder, villes qu'ils dotent des droits urbains germaniques.

L'expansion est également œuvre de proximité, dans le cadre de la seigneurie rurale. Depuis l'an 1000, en effet, l'Occident défriche fébrilement. Forêts et marais reculent partout entre le xie et le xiiie siècle, tandis que les polders gagnent sur la mer du Nord. Commencés discrètement par l'élargissement des terroirs anciens, les défrichements favorisent dans un premier temps la multiplication des alleux paysans. Mais les seigneurs, ne pouvant accepter que des hommes et de nouvelles terres échappent à leur contrôle et à leurs impositions, reprennent l'initiative du mouvement ; leur aide matérielle et technique est, en outre, indispensable lorsque la conquête du milieu se révèle difficile.

Par ailleurs, les seigneurs cherchent à attirer les paysans en leur promettant des terres, la liberté et autres franchises. À cette fin, ils accordent des chartes de fondation d'agglomérations nouvelles qui établissent les droits et les obligations de chacun. Ainsi naissent de nombreuses villes dont le nom a gardé la trace de cette époque : Villeneuve, Villefranche et autres bastides.

Après avoir atteint sa phase culminante au xiie siècle, en Île-de-France par exemple, le mouvement de défrichements s'essouffle progressivement. Seules le prolongent quelques initiatives individuelles. Le besoin de terres nouvelles n'est cependant pas totalement assouvi.

Les nouvelles techniques agricoles

Sans la vulgarisation des techniques nouvelles qui les accompagnent, les défrichements n'auraient pu suffire à dynamiser l'économie rurale.

Les outils en fer, servant à l'essartage (haches, faux, etc.), se perfectionnent grâce aux progrès de la métallurgie. Si, dans les sols secs des régions méditerranéennes, le paysan reste fidèle à l'araire, la charrue se répand dès le xie siècle sur les terres lourdes de l'Île-de-France et de l'Ouest. La traction de la charrue est améliorée par les progrès de l'attelage. Le joug frontal remplace progressivement le joug de garrot, qui étranglait l'animal et diminuait d'autant ses capacités.

L’amendement des sols s'ajoute à l'amélioration des techniques. À partir de 1200, les paysans multiplient les labours (jusqu'à quatre en Île-de-France) pour ameublir la terre. Mais les engrais manquent : on n'utilise la plupart du temps que du chaume ou des feuilles pourries. De fait, c'est la généralisation de la jachère qui assure à la terre le repos propice à une meilleure régénération. Sur la zone à cultiver, divisée en trois soles, alternent récoltes de printemps (orge, avoine), récoltes d'hiver (seigle, froment) et terre en jachère. Ainsi les paysans font-ils deux récoltes dans l'année.

Les conditions climatiques autorisent la viticulture jusqu'en France septentrionale, et même en Angleterre. Clercs, princes et bourgeois s'enorgueillissent de leurs vignes. La technique de culture, sinon de conservation, est déjà parfaitement maîtrisée.

3.4. La civilisation urbaine

La vitalité urbaine

Passé l'an 1000, on ne peut plus douter de la vitalité urbaine, encore stimulée par l'immigration rurale. Les villes neuves, nées des défrichements, complètent le réseau urbain hérité de l'Antiquité. Centre de production, la ville est aussi lieu de pouvoir, d'échanges et de culture.

Le peuplement, toutefois, reste inégal. À part quelques grands centres (comme Paris, Milan, Bruges et Londres), la majorité des villes reste de dimensions modestes : seules soixante villes européennes auraient, à la fin du xiiie siècle, dépassé les 10 000 habitants.

L'émancipation des villes

Dès la fin du xie siècle, les bourgeois tolèrent de plus en plus difficilement les pressions judiciaires et fiscales qu'exercent sur eux les seigneurs, tant laïques qu'ecclésiastiques. S'associant en communes, souvent encouragées par le pouvoir royal, n'hésitant pas à recourir à la violence, les notables bourgeois obtiennent des chartes de franchises qui reconnaissent l'autonomie du pouvoir municipal, celui des échevins dans le Nord ou celui des consuls dans le Sud. En France comme en Italie, toutefois, leur pouvoir demeure plus largement contrôlé par les comtes ou même les podestats, parfois librement choisis comme à Gênes, à Milan ou à Pise au xiiie siècle. De même, dans le Saint Empire romain germanique, les villes, à l'exception de celles de la Baltique, restent liées par serment à l'empereur, auquel elles doivent le service de guerre et l'impôt de gîte.

Foires et marchés

L'impulsion agricole se communique à l'activité artisanale. Au sein des domaines ruraux, les paysans se sont très tôt livrés à un artisanat de nécessité. Pour répondre aux besoins quotidiens, ils achètent parfois la matière première aux marchands de passage. Mais, à partir du xiie siècle, en France et en Flandre notamment, la ville devient le foyer privilégié de l'artisanat, car c'est là qu'arrivent les produits du grand commerce, indispensables à l'activité des métiers (laine, cuir, peaux, métaux) ; c’est là aussi que se regroupe la main-d'œuvre et que se perfectionnent les techniques. Ainsi le monde des artisans, lié à celui des marchands, s'impose-t-il peu à peu comme un élément constitutif du tissu urbain.

Pendant une ou plusieurs semaines, sous la protection d'un représentant du pouvoir seigneurial, les marchands traitent leurs affaires, commerciales aussi bien que financières. Certaines foires sont spécialisées, comme celles de la laine en Angleterre ou celles des draps en Flandre. Toutes sont surveillées par les gardes des foires, dont la juridiction s'étend à tout l'Occident au xiiie siècle. Les plus célèbres sont les foires de Champagne (Troyes, Provins, Lagny, Bar-sur-Aube), qui ont la particularité d'offrir un marché quasi permanent, de draps et d'épices en particulier, entre la Flandre et l'Italie. Mises en place vers 1150, ces foires sont protégées successivement par le comte de Champagne, puis par le roi de France lui-même, à partir de 1209. Italiens et Flamands ne les fréquentent assidûment que dans le dernier quart du xiie siècle. Leur déclin, vers 1250, semble lié à plusieurs facteurs, parmi lesquels le développement du marché parisien et celui de l'industrie textile italienne.

Les métiers

L'organisation des métiers, souvent regroupés par quartiers, derrière leur bannière, n'est d'abord au xiie siècle que conviviale et charitable, à l'image de confréries. Les réglementations protectrices et le refus de la concurrence incitent à une organisation minutieuse de la production qui, en principe, prohibe toute innovation spontanée. Ainsi, la qualité est fixée et dûment contrôlée. L'organisation du travail exclut la surproduction d'un atelier aux dépens des autres, et les prix n'échappent pas à la surveillance des maîtres.

Dans chaque ville se retrouvent tous les métiers. Qu'ils soient liés à la consommation (telles la boucherie et la boulangerie) ou qu'ils dépendent du grand commerce (tels le tissage, le foulage et la teinturerie), tous sont strictement contrôlés par le pouvoir communal, car la « loyauté » de la production et la régularité de l'approvisionnement garantissent la paix sociale.

L'enseignement

Sans être, comme la légende l'a laissé croire, le créateur de l'école, Charlemagne a établi un véritable programme élémentaire d'alphabétisation chrétienne. Puis, sous l'autorité des évêques, à partir de 1079 s'ouvrent les écoles-cathédrales. L'enseignement s'y donne en latin, et les élèves ont le statut de clercs.

Les universités sont issues des centres scolaires les plus importants, dès la fin du xiie siècle. Soutenues par le pape, elles n'obtiennent souvent leurs privilèges (droit de grève, sceau, liberté de recrutement) qu'à l'issue de conflits avec les autorités communales ou royales. Placée sous l'autorité du recteur et de ses doyens, l'université est souvent divisée en facultés qui lui donnent une identité particulière. Ainsi, Montpellier est plus orientée vers le droit et la médecine, Paris vers la théologie.

Les étudiants, regroupés en nations, sont souvent pauvres. C'est à leur intention que sont ouverts les collèges, comme celui de Robert de Sorbon, fondé à Paris en 1257. À la fin du xiiie siècle, à Paris, vivent 5 000 étudiants pour une population estimée à 200 000 habitants.

Le modèle antique de la culture littéraire a fortement imprégné l'enseignement, fondé sur les sept arts libéraux. Le trivium (grammaire, rhétorique et dialectique) l'emporte généralement sur le quadrivium, qui regroupe les disciplines scientifiques (arithmétique, géométrie, astronomie et musique).

Les écoles laïques, où l'enseignement est dispensé en langue vulgaire (le français dans le royaume de France), forment notaires et marchands.

3.5. Développement du commerce

Introduction

L'urbanisation est très liée à la dynamique des échanges commerciaux. En fait, ceux-ci n'ont jamais été réellement interrompus. Mais il est certain qu’aux xiie et xiiie siècles, tout concourt à la relance de l'activité commerciale : sécurité accrue, protections accordées par les seigneurs, amélioration des transports, augmentation des surplus et demande plus diversifiée.

La monnaie et la circulation de l'argent

Indice de vitalité économique, la monnaie pénètre toutes les activités économiques, qu'elles soient urbaines ou rurales. La quasi-disparition de la monnaie d'or, de trop forte valeur, et la frappe du denier d'argent, dès 670, avaient déjà stimulé l'augmentation du volume des échanges et ouvert l'économie monétaire à un plus grand nombre.

L'augmentation du stock métallique, due essentiellement aux mines du Harz, de la Saxe et de la Bohême, permet d'alimenter les ateliers monétaires. Nombre de seigneurs et de villes disposent du droit de battre monnaie. Si les ateliers monétaires sont encore environ 300 en France au xiie siècle, ils ne sont plus que 100 en 1270, puis 30 en 1315. Cette centralisation progressive s'accompagne d'une unification sous l'égide royale. Louis IX (Saint Louis) impose en 1262, dans tous ses États, le cours légal de la monnaie royale : le tournaisis, hérité du vieux système carolingien du denier. Le sou et la livre restent des monnaies de compte (1 livre vaut 20 sous, soit 240 deniers). Sur le même modèle, Henri II Plantagenêt crée, en Angleterre, la livre sterling, équivalant à 20 shillings ou à 240 pences. Dans l'ensemble, l'Occident reste fidèle à la monnaie d'argent. L'abondance de la monnaie favorise l'accélération de sa circulation et la vitalité du commerce.

Les techniques commerciales

Souvent venues d'Italie, les techniques commerciales se répandent et se complexifient. Dans le domaine du prêt, surtout privé, les Juifs (jusqu'à leur expulsion de France en 1306), les Lombards et les cahorsins prêtent sur gages.

La banque naît des pratiques de change. En effet, la multiplicité des monnaies a nécessité la mise en place de changeurs, qui fixent le cours des espèces en fonction du poids de métal pur qu'elles contiennent. Au cours du xiie s.siècle à Gênes, ces changeurs étendent leurs activités à la gestion des dépôts et des virements ; ceux-ci sont effectués par des contrats de change à partir de 1300. Si la simple lettre de change ne se répand qu'au xive siècle, le rechange est déjà pratiqué dès la fin du xiie siècle. Par ces procédés, banquiers et marchands pratiquent une triple opération : un paiement, un change et un crédit (puisque le règlement se fait à terme).

Longtemps itinérants, les marchands se sédentarisent, expédiant leurs commis sur les routes et les mers pour rester en ville gérer leurs affaires. Ils se regroupent de plus en plus souvent en associations, notamment en Italie. Dans la commende, née à Venise au xie siècle, un ou plusieurs négociants fournissent l'argent ou la marchandise, voire les deux, à un ou à plusieurs marchands voyageurs. Ces derniers, à leur retour, touchent une part des bénéfices convenue par avance.

Les échanges internationaux

Si les Italiens innovent en matière commerciale, les marchands de l'Europe du Nord, de la Flandre à la Baltique, s'adaptent plus lentement aux nouvelles méthodes : les changeurs brugeois ne deviennent banquiers qu'au xive siècle.

Le grand commerce international s'organise d'abord à partir de deux pôles : d'une part, les Pays-Bas, avec leur draperie, en provenance de Flandre, du Hainaut puis du Brabant, que Flamands et Italiens exportent en Europe méridionale – Bruges, grand fournisseur de laine importée d'Angleterre est la place marchande la plus importante de l'univers nordique ; d'autre part, les villes italiennes, qui ont puisé leur fortune dans le commerce avec l'Orient en assurant, entre autres, le trafic des épices.

Au xiiie siècle, deux pôles nouveaux exercent leur attraction : la Hanse teutonique et la région rhénane. Cette dernière reprend, à partir de la Flandre et des villes de la Hanse, la dynamique nord-sud vers l'Allemagne méridionale et l'Italie.

4. Le bas Moyen Âge (xive-xve siècle)

4.1. Le temps des calamités

Introduction

Aux deux siècles d'expansion que sont les xiie et xiiie siècles succèdent deux siècles de crise profonde. Au milieu du xve siècle, les mutations, dans tous les domaines, sont d'une telle ampleur que, pour les historiens, c'en est fini du Moyen Âge. Les causes de la dépression sont multiples, et aucune d'elles ne peut seule l'expliquer. Famines, pestes et guerres se sont conjuguées pour faire de ce qu'on appelle le « bas Moyen Âge », le « Moyen Âge tardif », le « temps de l'homme rare » : l'Occident est alors moins peuplé qu'au début du xiiie siècle.

Les famines

La crise des xive-xve siècles est d'abord frumentaire : dès 1309 en Allemagne, les récoltes ne suffisent plus à alimenter les hommes, et en 1315-1316 toute l'Europe occidentale est affamée. Les années de mauvaises récoltes provoquent une hausse du prix des produits céréaliers. Les années d’excellentes récoltes ne règlent pas la crise car, si le prix des céréales chute, celui des autres produits (agricoles et artisanaux) continue d'augmenter durablement.

Attesté par le recul des feuillus en Allemagne, par celui de la vigne en Angleterre, et par la disparition des céréales en Islande, le refroidissement climatique explique en partie les mauvaises récoltes. Les fortes pluies de 1315 aggravent ce phénomène. Mais la catastrophe est amplifiée par la surpopulation qui touche les terroirs et les villes manufacturières, où affluent les immigrés ruraux.

L’épidémie de la Grande Peste

Dans les villes, insalubres, les populations sous-alimentées résistent mal aux épidémies de peste, qu'une médecine balbutiante se révèle incapable d'enrayer. De 1346 à 1353, suivant les grands axes commerciaux, la maladie se propage jusqu'en Île-de-France, où elle ravage Paris de juin 1348 à juin 1349. Présente en Europe centrale, elle gagne les Pays-Bas et l'Angleterre, puis l'Écosse et les pays scandinaves en 1350. Paris doit encore subir ses attaques récurrentes en 1361-1362, alors que la peste des enfants s'abat, particulièrement sévère, sur le Languedoc en 1363.

Certains préfèrent fuir ; d'autres se murent chez eux. Prince ou serf, riche ou pauvre, nul n'est épargné par le fléau. Arras, Florence, l'Angleterre tout entière perdent 50 % de leurs habitants, Zurich 60 %. On estime à 25 millions – soit le tiers de la population – les victimes de la Grande Peste en Europe occidentale.

Avec l’épidémie de peste, l'homme devient une ressource économique rare et cher. Les salaires augmentent, tant à la campagne, où les seigneurs cherchent la main-d'œuvre qui relancerait l'exploitation de leurs réserves, que dans les ateliers urbains.

Les guerres

La permanence des conflits aggrave le déficit humain. Enlisée dans la guerre de Cent Ans (1337-1453), à laquelle s'ajoute de 1407 à 1413 le conflit entre Armagnacs et Bourguignons, la France, théâtre des opérations, est sans doute le pays le plus touché en Occident.

Il n’en demeure pas moins que dans toute l'Europe, ou presque, on s'affronte. L'Italie frémit sous le choc des impérialismes commerciaux nés avec les empires coloniaux. Ainsi, Pise lutte vainement contre Florence (1399-1406), et Milan contre Venise (1426-1429) ; Angevins et Aragonais se disputent la Sicile et le sud de la péninsule italienne (1435-1443). Dans la péninsule Ibérique, la fratricide querelle entre Pierre II et Henri de Trastamare ensanglante la Castille (1350-1369). L'Angleterre, ébranlée par la résistance écossaise (1295-1328) et déjà mobilisée contre la France, doit également faire face à la guerre des Deux-Roses (1455-1485), qui oppose les maisons d'York et de Lancastre. L'Europe du Nord n'est pas épargnée : en 1360, la Hanse sort victorieuse d'un premier conflit avec le Danemark, mais Teutoniques et Polonais s'affrontent durant un demi-siècle, de 1411 à 1466.

Les conflits mobilisent davantage d'hommes qu'auparavant. Sur terre, où des volontaires contractuels viennent grossir les rangs des armées, mais aussi sur mer, où sévissent pirates et gardes-côtes mercenaires. De la puissante artillerie française aux long bows anglais, les armes se perfectionnent et se multiplient.

Les périodes de trêve n'apportent aucun soulagement aux campagnes, qui sont pillées et dévastées en permanence par des troupes privées de tout autre ravitaillement. La tactique de la terre brûlée, adoptée par Bertrand Du Guesclin pour repousser ces bandes désœuvrées vers l'Espagne en 1367, est tout aussi redoutable pour les populations locales que les grandes chevauchées anglaises du Prince Noir en Languedoc (1355). « Écorcheurs » et « routiers » sévissent jusqu'à l'application de l'ordonnance sur les abus des gens de guerre, en 1439. Les paysans quittent des campagnes exsangues, abandonnant leurs tenures, et cherchent refuge à la ville, où le poids de la guerre se fait également sentir.

L’augmentation des taxes

Pour financer les guerres et payer les mercenaires, les états (assemblées représentant les trois ordres de la société : clergé, noblesse et tiers état) en France, de même que le Parlement en Angleterre autorisent, non sans difficultés, l'alourdissement de la fiscalité royale.

La pénurie de numéraire est un phénomène classique en période de troubles. Aussi les souverains français procèdent-ils à de fréquents réajustements monétaires, dont les conséquences sont avantageuses pour les débiteurs, mais catastrophiques pour ceux qui perçoivent des revenus fixes. Les incertitudes monétaires pèsent sur le grand négoce, que ralentissent en outre l'insécurité grandissante des mers et le mauvais état des routes livrées aux pillards. La production et la consommation sont en recul dans une société perturbée, où les pouvoirs (publics comme seigneuriaux) sont plus que jamais contestés.

4.2. Les crises politiques et sociales

La remise en cause des pouvoirs

La guerre de Cent Ans a dévalorisé le pouvoir royal au profit des aristocraties française et anglaise. Le triomphe monarchique n'est pas encore confirmé, et bien des insuffisances et des contestations fragilisent l'institution. En France, les états généraux entendent jouer leur rôle. Ils sont réunis dix-sept fois au cours du xive siècle, pour le vote de subsides, le règlement des successions ou l'approbation des traités. Mais, malgré le contrôle qu'ils prétendent exercer sur les finances publiques, ils ne menacent guère le pouvoir du roi, pas plus que ne le font les assemblées locales, que le souverain sait finalement utiliser à son avantage.

La petite noblesse s'agite périodiquement, voire constitue de véritables ligues. Elle contraint Louis X à concéder quelques chartes, dans lesquelles est définie la part d'autonomie des provinces. Les princes organisent leur domaine à l'image du royaume, créent des principautés toujours prêtes à défier l'autorité souveraine, en Bourgogne notamment. Les grands du royaume cherchent plus, au moins en France, à contrôler l'autorité du souverain qu'à la détruire.

Lorsque de jeunes souverains accèdent au trône avant d'être majeurs, le pouvoir est livré aux coteries princières. Ainsi, la minorité de Charles VI (1380-1388) laisse le champ libre aux intérêts divergents de ses oncles, en particulier de Philippe le Hardi, duc de Bourgogne. En Angleterre, ces questions se règlent par de sanglantes révolutions de palais : Édouard III fait arrêter et exécuter Mortimer, jadis régent de son royaume, et Thomas de Gloucester paie de sa vie, en 1397, sa révolte contre son ancien pupille Richard II.

Dans certaines circonstances, la transmission du pouvoir donne lieu à d'inextinguibles conflits. En France, la succession de Louis X (1314-1316) et celle de Philippe V (1316-1322) inaugurent un nouveau principe dynastique qui écarte délibérément les femmes et leurs fils du pouvoir (décision des états généraux de 1317 et 1328). Au mépris de toute tradition, la succession en ligne collatérale est autorisée, afin de rendre impossible l'installation d'un Anglais sur le trône de France.

L'enchevêtrement des liens familiaux et des obédiences vassaliques a depuis longtemps brouillé les points de repère politiques et sociaux. Il nourrit des conflits d'autorité dont l'arbitrage incombe à la force plus qu'au droit. Ainsi, par le jeu des alliances, les rois d'Angleterre Édouard II et Édouard III, petits-fils par leur mère des rois de France, peuvent se croire quelque droit à la couronne de France, tout comme Henri VI, petit-fils de Charles VI. Le roi d'Angleterre, égal en puissance au roi de France, mais néanmoins son vassal pour les terres qu’il possède dans le royaume de France, pouvait-il accepter de s'abaisser à lui prêter hommage ? Pouvait-il tolérer la « saisie du fief » de Guyenne opérée par son suzerain en 1337 ? Instrument du pouvoir, la vassalité devient alors inévitablement source de guerre féodale, prémisse à un affrontement national.

Les mouvements de révolte

Partout en Europe, campagnes et villes sont gagnées par des flambées de violence. Expression d'une rageuse lassitude, ces mouvements sont dépourvus de programme social et politique, bien qu'ils soient, de fait, antifiscaux et antiseigneuriaux.

Dans les campagnes, les défaites militaires, l'incurie des seigneurs absents, les pillages et les destructions, l'accroissement de la fiscalité royale et seigneuriale provoquent de brusques protestations. Les meilleurs terroirs agricoles sont touchés (Beauvaisis, Île-de-France, bassin de Londres). Ces révoltes paysannes prennent généralement l'aspect d'« effrois » spontanés, violents, et cruellement réprimés. À ce type de révolte correspond, sans doute, celle de la Flandre maritime menée par Zannequin (1323-1327) ; partiellement aidée par les tisserands, elle est écrasée par Philippe VI de Valois. En 1358, en France, la Jacquerie paysanne comme la révolte parisienne, menée par Étienne Marcel, sont essentiellement antinobiliaires. La « révolte des travailleurs » en Angleterre (1381) est l'expression des masses rurales criant leur misère autant que leur refus de la poll tax imposée par le gouvernement en 1380. Les révoltés, dirigés par Wat Tyler, parviennent à entrer dans Londres à l'été 1381, jusqu’à ce que l'assassinat de Tyler donne le signal de la répression. Les aristocraties scandinaves font face à de semblables révoltes, tant en Suède (1434) qu'en Norvège (1438) et qu'au Danemark (1441). Les fureurs paysannes agitent aussi l'Aragon à partir de 1409 et la Catalogne en 1462.

La dégradation des rapports maîtres-ouvriers est à l'origine de révoltes appelées « émotions ». Elles ne sont pas nouvelles : les xiie et xiiie siècles en ont déjà connu de nombreuses, de la révolte des tisserands de Troyes (1175) aux émeutes de Pontoise (1267) et de Provins (1279), avant celles de Douai et d'Ypres (1294-1305). Les maîtres veulent assurer leur monopole et leur suprématie sur les apprentis comme sur les valets et les compagnons plus spécialisés. Ils soumettent l'accès à la maîtrise à des conditions plus astreignantes, qui bloquent les métiers.

Le paroxysme du mouvement de protestation se situe à la fin du xive siècle ; il prend l'aspect de grèves, parfois accompagnées de bris de machines comme à Rouen en 1381-1382. Le tumulte des Ciompi ( révolte des Ciompi) à Florence en 1378 est l'expression d'un malaise autant politique que social, tout comme le mouvement parisien des maillotins, qui met ouvertement en cause le parti du roi et de ses régents (1382). Il faut l'armée royale pour écraser à Rozebeke ( bataille de Rozebeke), en 1382, les tisserands flamands pro-anglais révoltés contre la France. Dans l'ensemble, les ouvriers n'ont guère tiré profit de ces révoltes. Mais bien plus encore que chez les paysans, elles ont favorisé une solidarité dont les conséquences vont s'inscrire dans un lointain avenir, face aux négociants et aux maîtres de métiers qui conservent le pouvoir économique et politique des villes.

Le malaise moral

La Grande peste a tant tué, que la population ayant survécu cherche à profiter de ce sursis. Au milieu d'un foisonnement de couleurs, la mode se pare de toutes les audaces. Pour les plus riches, l'habillement, avec ses soieries et ses fourrures, devient de plus en plus luxueux. Tentant d'agir contre ces extravagances, les nombreuses lois somptuaires n'ont guère d'effets. Tableaux vivants et bals masqués animent, parfois tragiquement, les cours princières (en 1393, sous Charles VI, le bal des Ardents coûte la vie à cinq jeunes seigneurs, brûlés vifs par des torches). La courtoisie renaît néanmoins dans les poèmes de Charles d'Orléans en France, ou dans les écrits de Geoffrey Chaucer en Angleterre. On hésite entre la fureur des plaisirs et la chasse aux boucs émissaires. Deux mille Juifs sont ainsi massacrés à Strasbourg en 1349.

Pour sa part déchirée par le grand schisme d’Occident (1378-1417), la papauté n'offre plus de modèle, ni moral ni religieux. La chrétienté tout entière est divisée entre le pape de Rome, celui d'Avignon, et un troisième issu du concile de Pise en 1409. L'unité ne doit être retrouvée qu'avec l'élection de Martin V en 1417.

Les désordres créés par le grand schisme ne sont pas étrangers à la propagation des hérésies. Les prêtres sont rares, des églises sont détruites, des couvents désertés. Voyant dans ces catastrophes un châtiment divin, les flagellants allemands et flamands appellent au repentir, ainsi qu'à la révision des dogmes et des pratiques. Les nouveaux prédicateurs populaires savent exploiter le sens profond des mécontentements. Ils en structurent les idées, établissent un lien entre la contestation sociale et la remise en cause de l'Église et du clergé. Ainsi, John Ball appuie ouvertement les travailleurs anglais, déjà influencés par les discours de John Wycliffe.

Plus à l'est, les hussites de Bohême et les taborites de Bavière critiquent tout autant le servage et la fiscalité qu'une papauté oublieuse de sa vocation. C'est le mouvement des lollards en Angleterre, intellectuel avant de devenir populaire, qui réalise le mieux cette synthèse contestataire. Mais l'hérésie, dont toutes ces révoltes sont empreintes, facilite leur marginalisation et justifie leur écrasement.

5. Vers l'Europe moderne

5.1. Le triomphe des hommes d'argent

Un renouveau, perceptible à travers les premiers signes d'une relance démographique et économique, est sensible dans toute l'Europe à partir de 1450. L'Europe de la fin du Moyen Âge devient surtout celle des « hommes d'affaires ». Les Médicis à Florence, les Fugger et les Welser à Augsbourg sont à la tête d'un réseau d'affaires international et discutent à égalité avec les grands princes, dont ils sont les banquiers et les prêteurs.

5.2. Le nouveau paysage politique

Le redressement, c'est aussi une configuration de l'Europe qui annonce celle des Temps modernes et se caractérise par des États forts, de structure monarchique. La fin de la guerre de Cent Ans et de ses ravages assure aux couronnes de France et d'Angleterre un prestige qui devait leur permettre de triompher des aristocraties.

En Angleterre, le rétablissement du pouvoir royal intervient avec la nouvelle dynastie des Tudor. Le mariage de Henri VII avec Élisabeth d'York met fin à la guerre des Deux-Roses, tandis que le traité d'Étaples avec la France, en 1492, complète avantageusement l'œuvre de pacification. Les confiscations et une habile politique commerciale, de la laine notamment, ont contribué à l'enrichissement du trésor royal. Le roi, qui n'a plus besoin de faire appel au Parlement, s'appuie désormais sur la gentry des Communes et sur les hommes de son Conseil.

En France, l'État étend désormais son pouvoir sur un territoire dont toutes les provinces participent au domaine royal et où plus aucune principauté ne vient défier l'autorité monarchique : depuis 1481, le roi est comte de Provence, et le mariage de Charles VIII avec Anne de Bretagne, en 1491, fait enfin entrer le duché dans les possessions de la Couronne. Si cette monarchie n'a plus rien de féodal, elle ignore encore cependant la centralisation administrative, ainsi que le prouve l'éclatement du parlement dans les provinces, à partir de 1443. Chaque région reste fidèle à ses coutumes. L'évolution favorise la montée de la bourgeoisie au sein du tiers état, comme l’illustre la carrière de Jacques Cœur. Elle constitue cette nouvelle noblesse de robe, où se recrutent juristes et financiers. Le clergé ne perd rien de ses privilèges financiers et judiciaires, et les nobles qui se pressent jalousement à la cour demeurent un danger potentiel pour le pouvoir.

En Espagne, le mariage d'Isabelle de Castille et de Ferdinand d'Aragon (1469) préfigure l'unification du royaume espagnol. Mais l'unité nationale ne se fait qu'au prix de bien des intolérances : au nom de la foi, les rois Catholiques laissent l'Inquisition de Torquemada persécuter les « mauvais chrétiens » (1480). Ils décident l'expulsion de tous les Juifs du royaume de Castille (31 mars 1492), provoquant une nouvelle diaspora vers les rivages d'Afrique du Nord et surtout vers Salonique. La prise de Grenade aux musulmans (2 janvier 1492) met fin à la longue Reconquista chrétienne de la péninsule Ibérique.

Quant au Portugal, l'échec des Castillans à Aljubarrota (14 août 1385) garantit définitivement son indépendance.

En Germanie, l'autorité impériale n'est pas parvenue à arbitrer les perpétuels conflits qui opposaient les princes et les villes, et le vieil Empire germanique s'est disloqué. Déjà se dégagent de nouveaux centres de pouvoir. Au nord, la Hanse décline quelque peu ; dominatrice au xve siècle, elle doit affronter la concurrence de ses rivaux : velléités d'indépendance des royaumes nordiques (réunis depuis 1397 dans l'Union de Kalmar) et, à un moindre degré, la montée en puissance de Moscou. Les véritables forces germaniques sont maintenant ancrées dans le Brandebourg des Hohenzollern et dans l'Autriche unifiée (avec la Styrie, la Carinthie, le Tyrol et la Carniole) des Habsbourg. En 1493, l'empire de Maximilien, première puissance d'Occident, couvre toute l'Europe centrale, de Trieste à Amsterdam.

Dans une Europe aux États consolidés, l'horizon territorial des grands marchands est cependant menacé par l'avancée des Turcs ottomans, qui atteignent Constantinople en 1453 et ferment ainsi la route des épices et des soieries de l'Orient. La recherche d'une nouvelle voie guide les Portugais vers la découverte du monde. Siècle de guerre, le xve siècle est déjà celui des grandes explorations qui mènent Christophe Colomb aux Antilles, en 1492.